Les Portes de fer

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Les Portes de fer

Trois âges de la vie d’un homme, 20 ans, 40 ans, 60 ans. Presqu’une chanson de Frank Sinatra… Sauf que cet homme-là est danois, né dans les années 1950, professeur de collège à Copenhague et passionné par son métier. Mais, comme le défunt crooner américain, il revisite ses very good years avec philosophie et mélancolie mêlées. Etaient-elles si bonnes, après tout, ces années où il n’a jamais voulu « s’accepter », comme le lui recommandait sa femme psychologue ? Où il a au contraire privilégié les voies compliquées, serrées, ulcérées. Et de citer le compositeur Arnold Schoenberg : « Le chemin du milieu, c’est le seul qui ne mène pas à Rome. » C’est dans la ville éternelle, justement, que s’achève la tortueuse dérive de cette âme tourmentée. Le héros, dont on ne saura jamais le prénom — tel un homme sans qualité qui aurait des ­tristesses métaphysiques à la Stefan Zweig — retraverse son existence en flash-back, à travers les femmes qui l’ont façonné. La mère morte trop tôt, et trop tôt remplacée par le père, la professeur d’allemand échappée de RDA et sa fille, brillante et fantasque, qui l’initie à Brahms et lui brise le coeur. Il a 17 ans, vénère Marx et croit au communisme. Des années mariage aux ­années divorce et solitaires de la soi­xantaine, les illusions politiques s’en­volent, les passions s’enchaînent avec des goûts de faillite et de mort ; l’amour de la musique et de la littérature perdure. Une énigmatique réfugiée serbe et une très jeune photographe croisée à Rome replongent notre homme dans des émois insoupçonnés, le font renaître peut-être.

Le grand écrivain danois Jens Christian Grøndahl, 56 ans — et qu’on aurait aimé traduit avec plus de fluidité — sait à merveille composer-décomposer-recomposer la complexité des êtres. Comment ils vivent, en éternels exilés, derrière leur apparente banalité. Tous à peu près insaisissables et imprévisibles, telle la mère qui ouvre le récit. Que sait-on de l’autre, de soi ? A peu près rien, suggère doucement Grøndhal. Reste à se raccrocher à des moments, des présences. Rarement auteur aura semblé parler si bien, aussi, des hommes de 60 ans d’aujourd’hui, ses frères. Ceux qui ont connu la libération sexuelle des années 1970, qui ont vu tomber le mur de Berlin et bien des tabous politico-familiaux-conjugaux. Et ne s’en sont pas remis. C’est toute une génération européenne que racontent avec tendresse et brio ces Portes de Fer. — Fabienne Pascaud

 

Jernorten, traduit du danois par Alain Gnaedig, éd. Gallimard, 416 p. 23,50 €.

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