Les Pleurs du vent

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Les Pleurs du vent

Concentration et sang-froid sont exigés à l’entrée de ce roman oppressant, qui commence par un mur d’escalade. Un escalier serpentait autrefois dans l’à-pic de la falaise d’Okinawa, mais les bombardements américains l’ont réduit en miettes, et aujourd’hui lianes et liserons ont poussé dans les ruines. Un terrain de jeu idéal pour les enfants du coin, intrépides et silencieux comme dans Sa Majesté des mouches, qui entraînent le lecteur dans une chasse aux squelettes étincelants, vestiges des soldats de la dernière guerre mondiale. Parmi les petits joueurs : Akira, garçon morbide et casse-cou, qui ne dit à personne que la terreur a rendu son sang bleu transparent. Il ne sait pas que celui de son père a la même couleur, depuis qu’enfant il vola un stylo sur le cadavre d’un soldat. C’est avec ce crayon de la honte et de la peur, empli d’une encre poisseuse, végétale et organique, que Medoruma Shun a écrit ce roman sur le pouvoir asphyxiant de la mémoire. Animaux et végétaux assouvissent leurs appétits macabres sur les hommes, et triomphent dans le paysage, enivrés par leur capacité à défier le temps.

Comme il l’avait déjà fait pour son recueil de nouvelles L’âme de Kotaro contemplait la mer, Shun gratte jusqu’à la moelle ses propres souvenirs d’enfant d’Okinawa, né au début des années 1960, alors que l’archipel était encore sous occupation américaine. Il est temps de découvrir l’écriture écorchée, sépulcrale et méditative de cet auteur à part. Selon la religion d’Okinawa, il existe dans la mer, sous la ligne d’horizon, un espace profane et sacré où cohabitent humains et déités, au bord d’un sanctuaire. Medoruma Shun semble parler depuis cet entre-deux, toujours sur le fil, entre la vie et la mort. — M.L.

 

Fûon, traduit du japonais par Corinne Quentin, éd. Zulma, 128 p., 16,50 €.

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