Les Lance-flammes

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Les Lance-flammes

On l’appelle Reno, et si ce n’est pas son nom, on ne lui en connaîtra pourtant pas d’autre. Reno, simplement parce qu’elle en vient — débarquant du Nevada, autant dire de l’autre bout du continent, pour se poser à Manhattan, au milieu des années 1970. Reno a 20 ans et des poussières, et elle rêve d’être artiste. « Quand j’étais petite, que je skiais dans les sierras, j’avais l’impression de dessiner sur le visage de la montagne, de tracer de grandes lignes majestueuses et gracieuses. C’est comme ça que je m’étais mise à dessiner… » C’est à moto que Reno dessine désormais, traçant des lignes sur le sol avec un engin lancé à pleine vitesse. La vitesse et le risque sont d’ailleurs les valeurs auxquelles elle croit — « la nécessité du risque, l’importance de l’honorer » est son viatique.

Deuxième opus de l’Américaine Rachel Kushner (1) , Les Lance-flammes est le roman de l’apprentissage intellectuel, artistique, politique et amoureux de Reno, immergée dans le milieu artistique new-yorkais des seventies, microcosme tout ensemble cérébral, sophistiqué et narcissique, que la romancière reconstitue avec une intelligence, une vigueur merveilleuses — une jolie touche de mélancolie aussi. Si le roman n’était que cela, il serait précieux, documenté et chatoyant, remarquable. Mais l’ambitieuse Kushner n’a de cesse de l’amplifier, de le ramifier, de l’approfondir. Pour cela, sous-tendant la narration d’une réflexion sur l’essence de la modernité, et son lien avec la mobilité, la vitesse. Et ajoutant à l’histoire de Reno celle de la famille de Sandro, l’homme qui est de­venu son amant à New York : les riches Valera, une dynastie industrielle italienne qui a fait fortune dans l’industrie motocycliste et le caoutchouc, et fabriqué notamment le modèle de ­moto sur lequel Reno a décidé d’entreprendre son premier geste artistique majeur : saisir, par la photo, la trace de la machine sur le sable du désert.

Les deux pôles narratifs du roman se rejoignent ainsi dans l’Italie des années de plomb, où Reno continue de se laisser porter par les hasards, enregistrant l’atmosphère de l’époque… A dire vrai, c’est miracle qu’on ne s’égare jamais dans cette construction romanesque audacieuse, parfois elliptique, et qu’on ne se lasse pas des détails historiques et romanesques dont chaque page fourmille. C’est miracle, mais c’est ainsi, car le geste romanesque de Rachel Kushner est sûr, et sa maîtrise à la hauteur de son ambition : livrer, ici, un roman d’apprentissage formidablement moderne, spéculatif autant qu’électrique. — Nathalie Crom

 

(1) Le premier, Télex de Cuba, a été traduit en 2012, éd. du Cherche Midi et en poche chez Points.

 

The Flamethrowers, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Smith Ed. Stock 560 p., 23 €.

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