Imaginez Martin, un SDF goguenard, sale et curieux, installé jour et nuit avec Martine, sa SDF goguenarde, sale et curieuse, dans le hall jusqu’alors tranquille de votre confortable immeuble parisien. Et qui vous épient, vous narguent. Pire : ils vous donnent mauvaise conscience dès que vous prenez l’ascenseur ou en sortez. Comme ils sont mal en point, et pauvres, et moches, vous supportez en silence, comme tous les autres locataires… Comment, aujourd’hui, en ces méchants temps d’individualisme et de solitude, peut encore nous atteindre la détresse de l’autre derrière nos remparts d’indifférence ? Par l’hostilité ? Par la solidarité ? A quoi pense-t-on face à ces sans domicile fixe que nous sommes peut-être en puissance ? De quoi avons-nous peur ? La mauvaise foi règne dans la féroce et hilarante fable-farce de Mathieu Lindon. Féroce, parce qu’il y déstabilise en permanence le lecteur.
Parfois, Martin et Martine, ces Vladimir et Estragon 2014 qui n’attendent même plus Godot, sont en effet monstrueux d’arrogance. Parfois ils sont attachants dans leur lucidité foudroyante. Nulle pitié glauque chez celui qui les portraiture sans concession. Tout comme il le fait avec les habitants de l’immeuble, de l’aide-soignante sexy au riche Noir qui a réussi, du chômeur déprimé qui promène son chien au taciturne couple balte fraîchement immigré, tous aussi étranges et paradoxaux que les SDF qui les dérangent, les remettent en question, les menacent. Où donc se situe Mathieu Lindon, si affreusement drôle dans ces saynètes à la Gogol ? Tantôt il semble prendre le parti des uns, tantôt celui des autres. Au point qu’on ne sait plus très bien où l’on en est à la fin de cette réjouissante radiographie d’un immeuble petit-bourgeois si près de chez nous… Face à nous justement, face à nos préjugés, nos hypocrisies. Nos mensonges.
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