Les Écrivains du 7e art

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Les Écrivains du 7e art

« Faire du cinéma, c’est une passion comme se piquer à la morphine. Une fois qu’on y a goûté, il n’y a plus moyen d’y renoncer », expliquait Blaise Cendrars en 1925. A l’instar de l’auteur de L’Or, ou d’un Romain Gary assurant que « W.C. Fields, Chaplin, Groucho Marx ont été [ses] plus fortes influences littéraires », de nombreux écrivains se sont enthousiasmés, et s’enthousiasment encore, pour le septième art, jusqu’à écrire des scénarios et même, pour les plus tenaces ou les plus chanceux, à passer derrière la caméra. Avec, parfois, des désillusions à la hauteur de leurs rêves — quel dommage que Robert Bresson ait refusé le biopic d’Ignace de Loyola que lui proposait Julien Green…

Frédéric Mercier salue ces « aventuriers » dans un essai stimulant qui rappelle à quel point les liens entre littérature et cinéma sont anciens, conflictuels mais aussi féconds. Aux auteurs consacrés comme écrivains et cinéastes à part égale (de Guitry à Duras, en passant par Pagnol et Cocteau), le critique de cinéma a privilégié les expériences artistiques « plus ou moins réussies » de romanciers qu’il adore. Sa « promenade subjective » le conduit ainsi à consacrer quinze pages à Eric Vuillard pour seulement trois à Georges Perec et Jean Genet réunis, et à oublier le très cinéphile Jean-Paul Sartre, pourtant adepte d’une écriture inspirée par le montage dans Le Sursis et auteur d’un ambitieux Scénario Freud rejeté par John Huston. On peut s’en étonner, ou le regretter… Mais Frédéric Mercier a le mérite d’assumer jusqu’au bout ses partis pris dans des pages vibrantes d’admiration pour Joseph Kessel, Roger Nimier, Françoise Sagan, Michel Houellebecq ou Emmanuel Carrère.

De ces parcours singuliers se dégagent quelques constantes. Quand un écrivain adapte ses propres romans, il est tenté par l’épure : Julien Green désincarne son Léviathan en le tirant vers l’épouvante, Giono substitue « à l’écriture baroque » d’Un roi sans divertissement un film « hanté par sa nudité ». La plupart des auteurs tentés par la réalisation découvrent la difficulté de passer de l’exercice solitaire de l’écriture à la création collective du tournage et se heurtent à la lourdeur de la technique cinématographique — Giono rêvait de donner à la caméra de Crésus, son unique long métrage, la légèreté et la grâce d’un oiseau. Malraux, lui, souleva des montagnes pour parvenir à tourner son chant funèbre aux républicains espagnols — les pages consacrées à la genèse tourmentée d’Espoir, Sierra de Teruel comptent parmi les plus émouvantes du livre.

A côté de ces écrivains tentés par le cinéma, Frédéric Mercier livre aussi un beau portrait d’Eric Rohmer en « cinéaste littéraire ». Et rend hommage à un scénariste de génie, le dandy provocateur Paul Gégauff, dont « la contribution fondamentale au cinéma » (il a écrit les meilleurs Chabrol des années 1960) a fini par faire de l’ombre au romancier incisif qu’il fut. Comme tout bon ouvrage sur le cinéma, ce panorama des Ecrivains du 7e art donne envie de découvrir ou de revoir les films qu’il analyse. Vrai bonus, il incite aussi à se plonger dans la lecture de romans oubliés ou méconnus… — Samuel Douhaire

 

Ed. Séguier, 372 p., 22 €.

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