Les crimes de Mary Bell

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Les crimes de Mary Bell

Le fait divers, écrivait Roland Barthes, désigne une information inclassable, relevant du registre hétérogène des « nouvelles informes » : meurtres, agressions, désastres…, qui captivent autant qu’ils épouvantent parce qu’ils renvoient « à l’homme, à son histoire, à son aliénation, à ses fantasmes, à ses rêves, à ses peurs ». Celui-ci, auquel l’historienne et journaliste britannique Gitta Sereny (1921-2012) a consacré deux ouvrages, est resté longtemps célèbre en Grande-Bretagne, du fait de son caractère exceptionnellement dérangeant. En 1968, à Newcastle, une fillette de 11 ans, Mary Bell, assassina deux petits garçons de 3 et 4 ans. Jugée la même ­année, elle fut reconnue coupable. Demeurée détenue durant douze ans (dans une unité spécialisée jusqu’à ses 18 ans, puis en prison), elle fut libérée en 1980 et vit depuis sous une nouvelle identité.

De l’enquête et du procès de la fillette, qu’elle avait suivis en tant que journaliste, Gitta Sereny avait rendu compte dans un premier ouvrage, Meurtrière à 11 ans (The Case of Mary Bell : A portrait of a child who murdered), paru en 1972. Sur le « cas Mary Bell », elle éprouva le besoin de revenir, vingt-cinq ans plus tard. Dans le but, plusieurs fois avoué dans le livre, et, souligne-t-elle, « je le dis sans hésitation, d’utiliser Mary et son histoire ». D’abord pour mettre au jour des dysfonctionnements dans la façon dont le système judiciaire britannique traite les enfants. Et, plus profondément, pour comprendre ce qui peut conduire un enfant à commettre « des actes profondément incompatibles avec la bonté intrinsèque de l’être humain » — quels mauvais traitements ou simplement quelle indifférence de la part des adultes.

On le voit, le point de vue de Gitta Sereny n’est pas neutre : il est celui d’une humaniste convaincue et militante, qui clairement s’affirme comme telle tandis qu’elle écrit le prologue à ce second ouvrage. Lequel s’appuie essentiellement sur les conversations qu’elle a menées, en 1995-1996, avec Mary Bell, alors âgée d’environ 40 ans. Une femme que les médias et l’opinion publique regardaient naguère comme « un monstre de la nature », désormais mariée et mère de famille, et dont Gitta Sereny choisit résolument de parier sur la franchise et la bonne foi : « Je la croyais sincèrement malheureuse de ce qu’elle avait fait. Je croyais en sa tristesse pour les familles qu’elle avait privées de leurs enfants et je croyais en son besoin de se connaître. »

Car c’est à remonter le temps que Gitta Sereny convie Mary Bell lors de leurs entretiens patients, précis, ébranlants. A revenir « au plus près de ses souvenirs », pour se retrouver trente ans plus tôt à Scotswood, le quartier défavorisé de Newcastle où elle grandit. Cela dans le but de voir surgir, au fil des discussions, des pages, la seule chose qui importe à la journaliste : non pas un réexamen de cette histoire, basé sur des indices ou des preuves négligées, mais une relecture orientée vers « la réponse à la question : Pourquoi ? » Vers cette autre interrogation que lui inspire Mary adulte : « Y a-t-il dans l’esprit humain, les nerfs, le coeur, quelque chose qui possède le pouvoir de détruire ou de paralyser, puis de recréer ou de rétablir, la moralité et la bonté ? » Si ce « quelque chose » existe — et pour Gitta Sereny, cela ne fait pas de doute —, il a un nom, la rédemption, mot par lequel l’auteur a choisi de clore ce livre inconfortable et important. — Nathalie Crom

 

Cries unheard. The Story of Mary Bell, traduit de l’anglais par Géraldine Barbe Ed. Plein jour 438 p., 23 €.

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