Les Chemins de la perfection

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Les Chemins de la perfection

Le même portrait de Thérèse d’Avila ­illustre la couverture de deux livres qui paraissent à l’occasion du cinq centième anniversaire de sa naissance. Le nez long et droit, le blanc de l’oeil apparent sous des pupilles noisette scrutatrices, la bouche fruitée légèrement entrouverte, les mains jointes en creux comme pour empêcher l’envol d’un petit animal. Peint au début du xixe siècle, ce tableau souligne la beauté légendaire de Thérèse, bien plus que l’affreuse croûte que frère Jean de la Misère bâcla au couvent, de son vivant, et qui fit dire au modèle qu’elle ne se savait pas « si laide et si chassieuse ». L’anecdote est racontée par Christiane Rancé dans sa biographie, excessivement exaltée, de Thérèse d’Avila (1515-1582), qui fascina, rappelle-t-elle, tant de têtes pensantes, croyantes ou non, de Truman Capote à Marguerite Duras, de Georges Bataille à Simone de Beauvoir, de Jacques Lacan à Samuel Beckett. A condition de goûter le style enflammé de l’essayiste, véritable moteur à combustion où crépitent des trouvailles d’écriture quand il s’agit de croquer les humains, à condition aussi de faire fi de quelques incursions d’un « je » un peu déplacé, son livre révèle l’importance de l’écrit dans la vie de Thérèse d’Avila.

Des lectures édifiantes ou chevaleresques de son enfance, en passant par Le Marteau des sorcières, best-seller de l’époque, répertoriant tous les signes extérieurs d’envoûtement par le diable, jusqu’à l’Evangile, qu’elle découvre dans une nouvelle version castillane, les multiples lectures de Thérèse font danser les mots en elle. L’essai de Christiane Rancé montre, entre autres, comment le déclic de l’écriture est né chez cette sainte capable de la plus grande poésie (« Je vis sans vivre en moi/Et j’espère si haute vie/Que je meurs de ne pas mourir ») comme d’aphorismes à la Michel Audiard (« La vie n’est qu’une nuit à passer dans une mauvaise auberge »).

La splendide anthologie, établie et traduite (1) par Aline Schulman, permet de s’immerger dans les écrits si personnels et si modernes de Thérèse d’Avila, reine de l’introspection lucide, aiguë, vivante, balayant d’une lumière dansante son « château intérieur » (titre de son traité d’oraison, partiellement reproduit en fin d’ouvrage). Auteure, en 2008, du livre phare Thérèse mon amour (éd. Fayard), et signataire de la remarquable préface de cette anthologie, Julia Kristeva pose une question passionnante, inspirée par la puissance littéraire de la sainte mystique : « L’énigme de Thérèse est moins dans ces ravissements que dans les récits qu’elle en fait : au demeurant, ces ravissements existent-ils ailleurs que dans ces récits ? » — Marine Landrot

 

(1) On peut lire Thérèse d’Avila en version bilingue dans le volume d’OEuvres qu’elle partage avec Jean de la Croix en Pléiade (éd. Gallimard, 2012).

 

La Passion de Thérèse d’Avila, éd. Albin Michel, 304 p., 19,50 € Les Chemins de la perfection, éd. Fayard, 340 p., 22 €.

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