Le roi René, dans le petit monde du jazz, chacun sait de qui il s’agit : le pianiste René Urtreger, un maître du be-bop. A 81 ans, il joue toujours et de mieux en mieux, on dirait, et la romancière Agnès Desarthe lui consacre un des meilleurs livres jamais écrits sur un jazzman. Vertigineusement partagée entre des hauts inaccessibles et des bas terrifiants, voici l’histoire d’un enfant juif dont la mère fut arrêtée par la Gestapo, déportée, gazée — on ne le lui a jamais dit et il l’a toujours su. Sa planche de salut ? Le piano. Il le travaille d’arrache-pied, joue Chopin à ravir, mais n’est pas reçu au concours du Conservatoire. Le jazz sera son destin, il s’y ébroue ; à 21 ans, il est une star, il joue avec Miles Davis, partage sa chambre en tournée, improvise avec lui la musique d’Ascenseur pour l’échafaud, un mauvais souvenir parce que, lui, il attendait, transi, un dealer qui tardait. La drogue, l’alcool furent son tourment, sa chute, sa rédemption enfin, quand il s’en libéra.
Sa fragilité, sa force, son irritabilité, sa vitalité, son humour en font un formidable personnage de roman. Agnès Desarthe le met en scène, dialogue avec lui, fait des sauts dans la chronologie, évoque ses amitiés (Claude François, Serge Gainsbourg, entre autres), mêle sa vie à la sienne, discrètement, finit même par chanter avec lui, un soir dans un club. Et surtout elle raconte cette histoire avec élan, entrain, rebonds, souplesse, en un mot avec swing. — Michel Contat
Ed. Odile Jacob, 272 p., 21,90 €.
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