Le Rapport de Brodeck – Tome 1 : L’autre

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Le Rapport de Brodeck – Tome 1 : L’autre

« Je m'appelle Brodeck et je n'y suis pour rien », se défend-il. Mais il n'avait pas le choix : « On ne refuse rien à ces gens-là quand ils ont le sang au cerveau. » Tout le village s'est ligué contre un homme dont on ne savait ni d'où il venait, ni ce qu'il voulait, qui souriait facilement, parlait peu, et inquiétait d'autant plus qu'il n'y avait pas grand-chose à lui reprocher. Juste d'être « De Enderer », comme les habitants l'ont appelé dans le dialecte local. L'Autre. L'Etranger. Ils viennent de le tuer, et ils ont sommé Brodeck d'en faire le rapport précis. Pour en finir avec la culpabilité, peut-être. Ou la peur. Ou la haine. Cela participe de l'énigme qui s'insinue jusqu'à l'épilogue du roman de Philippe Claudel, paru en 2007. Quand Manu Larcenet décide de s'y confronter, les images d'une tragédie vécue à cru émergent où l'atmosphère compte autant que les faits. Tous les indices convergent vers une évidente parabole de la Seconde Guerre mondiale, avec ses collabos, ses délateurs, ses déportés (Brodeck est un rescapé) et ses camps de l'horreur, mais Claudel situe son territoire romanesque hors du mot à mot de l'Histoire. Il s'ouvrait, du coup, à l'imagination du dessinateur.

Dans la foulée de Blast, son grand oeuvre (quatre tomes, huit cents pages), et de ses fulgurances crépusculaires, Larcenet déploie une fresque âpre, inspirée, tout en clairs-obscurs, visuels et psychologiques, que le noir et blanc exacerbe sans pathos mais avec une tranchante intensité. Les intérieurs où la lumière pénètre peu, une nature sauvage estompée par les tempêtes de neige, des gueules sans âge murées dans leurs secrets indicibles : tout évoque à la fois un monde immuable et une menace latente où pèse une hostilité sourde vis-à-vis de Brodeck lui-même. C'est une communauté isolée, refermée sur son crime qu'ausculte Larcenet. De même, les brefs flash-back sur ce que Brodeck a vécu dans les camps font l'effet de déflagrations d'inhumanité sidérante mais sont expurgés de tout cliché pathétique, et les plages muettes font vibrer en profondeur le texte.

Elaguer ce qui se dit pour atteindre l'os de ce que les protagonistes taisent. Donner à ressentir l'opacité des (mauvaises) consciences. Pour sa première adaptation littéraire, Larcenet installe ainsi une « poésie sombre » (saluée comme telle par Philippe Claudel), que le dessin porte à incandescence.

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