Le Pas suspendu de la révolte

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Le Pas suspendu de la révolte

En ouvrant le livre, on n’imaginait pas qu’il faudrait autant de temps pour en venir à bout. Près de six cents pages de texte tissé serré, sans respiration hormis les rares changements de chapitres. On n’imaginait pas non plus, compte tenu de la violence du propos, qu’on y prendrait autant de plaisir, qu’on en sortirait à ce point revigoré. Quelle rage, quelle énergie ! Six chapitres, six voix formidables d’invention et de diversité, qui se répondent, se chevauchent et se percutent. Six membres d’une même famille à la déglingue. Un choeur fiévreux, tonitruant et bancal. L’ensemble organisé autour d’un déjeuner d’anniversaire calamiteux où la famille, censée se retrouver et s’incarner, vole en éclats dans un mouvement de violence à couper le souffle. La scène est sinistre et réjouissante tout à la fois : enfin se brisent les masques grimaçants d’un jeu étouffant et mortifère. Elle revient comme un leitmotiv, saisie par le regard de chacun, tout le récit en procède et y retourne.

Voici Théo, qui a fui femme et enfants et erre depuis des mois d’hôtel en hôtel, incapable de s’éloigner vraiment. Voici Clara, l’épouse abandonnée. Voici Maurice, le grand-père centenaire, gaillard, paillard, assigné à résidence, prisonnier d’une « armée d’édentés, de béquillards, de baveux hagards et arthrosiques ». Voici encore Romain, son arrière-petit-fils, la voix des autres à la puissance 10, qui rêve de dézinguer tout ce qui bouge à la kalachnikov, de « faire saigner cette vie creuse, cette vie vide de sens, putain ! »

Mathieu Belezi, qui tient une place décidément singulière dans le paysage littéraire, use de toutes les audaces pour peindre ce portrait au hachoir d’une époque en perdition, faussement libérée, et le naufrage de ses personnages empêtrés, frustrés, incapables de choisir leur vie. Ultime provocation, c’est un assassin coupeur de têtes, dont on suit la cavale en filigrane du roman, qui a le dernier mot : « Réveillez-vous ! » — Michel Abescat

 

Ed. Flammarion, 588 p., 21 €.

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