Le Garçon qui n’existait pas

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Le Garçon qui n’existait pas

Sjón et Björk : les deux trésors nationaux monosyllabiques que l’Islande a enfantés se connaissent depuis les années 1970. Ils ont passé leur adolescence ensemble, et le premier a écrit des chansons pour la seconde. On lui doit le livret du film musical Dancer in the dark, de Lars von Trier. Voilà pour situer un écrivain encore confidentiel en France, malgré ses romans singuliers, dont Le Moindre des mondes n’est pas le moindre, avec sa chasse au renard cauchemardesque, sa langue économe et poétique. Sjón nous revient aujourd’hui grâce à un livre tout aussi magnétique, autour d’un adolescent nommé Máni Steinn, alias Pierre de Lune, titre original du livre. Le jeune homme aurait pu s’appeler Tadzio, tant sa ressemblance avec l’adonis de Mort à Venise est grande. L’édition française a préféré le définir comme « le garçon qui n’existait pas » (sous-titre du livre en islandais), pour l’éclairer dans toute sa particularité d’homosexuel diaphane mis au ban de la société de Reykjavík, en 1918.

Pourtant, Máni Steinn est tout sauf invisible. C’est un être d’une sensibilité maladive, à l’affût des expériences qui lui permettront d’échapper à la mort qui rôde, un échassier inquiet qui vole au-dessus des marais pour chercher le soleil, avant de regagner le grenier où il vit avec sa grand-tante, à l’écart de la ville. Les salles obscures font briller sa lumière intérieure, les cinémas comme les hangars. Alors le gamin occupe ses journées à se jeter dans les bras des actrices de films muets, puis à assouvir les besoins sexuels de blessés de guerre unijambistes ou de matelots danois de passage. Dehors, les mouettes s’abreuvent du sang des cadavres, laissés sur le trottoir par la grippe espagnole qui sévit à Reykjavík. Chapitres courts, sépulcraux et flamboyants comme des scènes de chefs-d’oeuvre expressionnistes allemands. Langue âpre et changeante, exaltée par un voyage dans le temps qui permet de panser les plaies du passé. Sjón signe là un roman frénétique et aérien, écrit en hommage à son oncle mort du sida mais refusant à chaque instant de se laisser cadenasser par sa mission militante. — Marine Landrot

 

Mánasteinn, traduit de l’islandais par Eric Boury, éd. Rivages, 150 p., 16,50 €.

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