Le Désordre azerty

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Le Désordre azerty

« D’une certaine manière, tous les livres de Chevillard racontent la même histoire, celle de personnages hors normes en butte au monde extérieur et à son refus d’accepter ce qui ne s’intègre pas dans les cadres préétablis », note Pierre Bayard dans l’une des quatre études qui composent le recueil critique – et plutôt drolatique – Pour Eric Chevillard (1) . L’analyse vaut pour Le Désordre azerty, qui n’est pas un roman et dont le personnage central est Eric Chevillard lui-même. Ce n’est pas manifester beaucoup d’audace ni de pertinence que de qualifier ce livre d’autoportrait, mais, tant pis, faisons-le, puisque c’est encore la définition la plus simple qu’on puisse trouver pour définir cet exercice autobiographique délectable dans lequel, pour mettre un peu d’ordre, canaliser une tendance à la spéculation et à la digression qui l’entraîne souvent bien loin de ce qui semblait être son sujet initial, l’écrivain a choisi de s’en remettre à la forme de l’abécédaire, disposé tel que se présente le clavier français : azertyuio…

La phrase qui précède est un peu longue, mais c’est fait exprès : l’usage de phrases longues, ainsi que de mots rares, inusités ou inconnus de la majorité, donc « susceptibles de saper la cohésion du groupe, d’y introduire le trouble, le malaise, la division », est posé d’emblée par Eric Chevillard comme tout ensemble le symptôme et le moyen d’une certaine asociabilité, acceptée comme un fait autant que revendiquée. Car c’est un des marqueurs de son style propre. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : à chaque entrée de l’abécédaire, d’une façon ou d’une autre, tenter d’approcher ce qu’est le style d’un écrivain, qui « se dégage peu à peu de la gangue de la langue commune ». Le style qui est « la langue natale de l’écrivain : le pays suit, l’espace intellectuel et sensible qu’il ordonne » ; un « étrange pays que nous [les lecteurs, NDLR] visitons, où ne vit qu’un habitant – le premier ou le dernier homme ? L’un et l’autre sans doute ».

L’autobiographie telle qu’on l’entend communément – des faits, des paysages… – n’est pas absente de ces pages : elle s’immisce, fragmentée ou livrée en bloc et en vrac dans la frissonnante énumération du chapitre « Quinquagénaire », sorte de Je me souviens. L’ironie, en ces pages, le dispute constamment au sérieux – encore un indice de style – et même à une sorte de mélancolie, qu’on n’avait sans doute jamais sentie si palpable chez Eric Chevillard. C’est que ce plaidoyer pour la singularité de l’artiste ne va pas sans l’aveu répété d’une solitude : « L’écrivain est un théoricien sans école, sans disciple, sans parti. Il s’invente un monde dans lequel il est le seul à vivre. » Et vous, pourquoi n’écrivez-vous pas ? demande-t-il au lecteur – « Comment peut-on ne pas écrire ? Cette aptitude, pourquoi ne l’ai-je pas reçue ? »

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