Le Dernier Mot

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Le Dernier Mot

Toute ressemblance avec un personnage existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence… C’est Hanif Kureishi qui l’affirme, répétant à la presse britannique ces jours-ci les dénégations qu’il prononçait déjà en décembre dernier, à Paris, où il était de passage. Pourtant, on aurait juré pouvoir mettre un nom sur l’un des deux protagonistes principaux du Dernier Mot : un certain Mamoon Azam, « écrivain éminent », romancier et essayiste au rayonnement planétaire, admiré autant que controversé, né en Inde et installé en Grande-Bretagne depuis l’âge de 20 ans environ. Eh bien non, c’est une erreur, alors n’en parlons plus… Quoique, ce ne sera pas chose facile, puisqu’il se trouve que le délectable et corrosif roman de Hanif Kureishi met en présence le dénommé Mamoon et un auteur londonien, le jeune Harry Johnson, dépêché dans la campagne anglaise où est installé le vieil écrivain, aux fins d’écrire sa biographie. Laquelle, telle qu’elle se dessine au fil du roman, renvoie de façon persistante et souvent très précise à celle de V. S. Naipaul – ses relations conflictuelles avec son père, avec les femmes qui ont partagé sa vie, les thèmes de ses livres et ses prises de positions politiques qui l’ont fait estampiller par certains ultra conservateur, réactionnaire, misogyne, néocolonialiste. Lequel Naipaul avait d’ailleurs accepté de collaborer, il y a quelques années, à un travail biographique d’une rare intimité et dont les révélations ont fait grand bruit outre-Manche (1) .

Qu’on ne s’y trompe pas, pourtant : Le Dernier Mot n’est en rien une biographie déguisée, oblique ou romancée de l’auteur d’Une maison pour Monsieur Biswas – lequel, d’ailleurs, n’est pas né en Inde, comme Mamoon, mais à Trinidad. Et si le portrait de Naipaul, fût-il dévoyé, qui malgré tout se dessine en ces pages, est formidable, le propos de Hanif Kureishi n’est pas là. C’est un face-à-face dramatique qu’il installe, un affrontement à fleurets non mouchetés, une sorte de huis clos fondamentalement tragique – quoique toujours hautement comique – entre deux hommes : l’écrivain et son biographe. Car « même l’homme le plus solide tremble à l’idée que se déchire le voile qu’il a jeté sur son passé », disait P. G. Wodehouse – allez savoir si elle est vraie ou fausse, cette citation reprise par l’éditeur commanditaire de Harry, mais le fait est qu’elle colle à la situation.

En réalité, on ne sait pas bien si c’est de peur qu’il tremble, ou de lassitude et d’ennui, le vieux Mamoon, quand il accueille l’ingénu Harry dans son cottage. Aux côtés de l’écrivain, se tient Liana, son ambitieuse seconde épouse, qui, estimant les revenus de son prestigieux mari sans rapport avec l’aura dont il jouit, a décidé de faire parler de lui, « de faire de Mamoon une marque », d’où l’idée de cette biographie dite « autorisée ».

Liana, d’autres femmes – la première épouse de l’écrivain, décédée en laissant derrière elle un journal intime empli des récits des mauvais traitements qu’elle a reçus ; son ancienne maîtresse Marion, esquintée elle aussi, que Harry ira voir à New York ; la petite armée des femmes de ménage venues des quartiers très défavorisés du village voisin et qui s’activent dans la maison de Mamoon et Liana ; ou encore Alice, la blonde fiancée de Harry – jouent des rôles tout ensemble secondaires et déterminants dans le duel que se livrent, tout au long du roman, Mamoon et Harry. D’un côté, le vieux renard Mamoon, intellectuel brillant autant que provocateur et Minotaure usé, en quête d’un hypothétique réveil de sa libido autrefois véhémente, cette énergie vitale qui a produit une œuvre admirable et une cohorte de victimes féminines. De l’autre, Harry, l’agneau qui, au fil du combat engagé avec son aîné, se révèle avoir un potentiel – et un taux de testostérone… – de jeune loup.

« J’aimerais bien que vous arrêtiez de m’éplucher comme si j’étais un oignon. Vous savez, comme tout le monde, j’ai une passion pour l’ignorance. J’ai envie de travailler dans l’obscurité : c’est le meilleur endroit pour moi, pour n’importe quel artiste », se plaint Mamoon à Harry. Lequel, admiratif dans un premier temps, puis confronté aux dé­robades de l’écrivain, ébranlé par les témoignages des femmes qui l’ont ­aimé et en ont payé chèrement le prix, immergé aussi dans la rivalité mas­culine grandissante qui l’oppose au vieil homme, développe peu à peu la conviction que, autant que les actes remarquables accomplis, « ce sont les trivialités qui font l’homme » et conçoit dès lors la biographie comme « une entreprise de désillusion » : « Vous pensez apprécier tel écrivain ? Mais regardez comment il traite sa femme, ses enfants, ses maîtresses. Il aimait même les hommes. Détestez-le. Détestez son oeuvre. […] Désormais il n’y avait plus qu’une question qui vaille : qu’est-ce que l’on peut pardonner aux autres ? Jusqu’où peuvent-ils aller sans que l’on cesse de croire en eux ? »

Le ton du Dernier Mot est de bout en bout celui de la comédie intime, sociale – souvent grinçante, parfois très émouvante –, mais les thèmes qu’il brasse sont nombreux et subtils. Quel rapport l’écriture entretient-elle avec la vie ? A quelles sources secrètes l’écrivain puise-t-il pour composer son œuvre ? Peut-on prétendre connaître un autre mieux qu’il ne se connaît lui-même ? « Je serai toujours l’inconnue de votre livre », susurre Mamoon à son biographe…

Bio express
1954 Naissance dans le Kent, de mère anglaise et de père pakistanais.
1985 Scénario de My Beautiful Laundrette, de Stephen Frears.
1990 Parution de son premier roman, Le Bouddha de banlieue.
1998 Intimité.
2004 Contre son cœur.
2008 Quelque chose à te dire.
2013
Scénario d’Un week-end à Paris, de Roger Michell (en salles en mars).

 

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