Le Chant d’Achille

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Le Chant d’Achille

D’abord, on se dit que ça ressemble trop à L’Iliade. Que la jeune romancière américaine Madeline Miller — 35 ans — est gonflée de s’être ainsi ­accroché aux basques littéraires du génial Homère. De l’avoir plagié peut-être ? Sauf que très vite, en quelques dizaines de pages seulement, précises et lumineuses à la fois, écrites avec un luxe de détails historiques éblouissant, un charme irrésistible opère. Avec l’envie, irrésistible aussi, de savoir la suite et la fin — que de mémoire de lycéen, on connaît pourtant déjà… — de ce bouleversant roman d’amour en pleine guerre de Troie. Le Chant d’Achille est pareil à ces histoires terribles qu’on aimait à entendre enfant. Horreurs, interdits, désirs fous y sont en scène. C’est parce qu’elle avait ­adoré entendre sa mère lui conter les mythes et légendes grecs et romains, que Madeline Miller s’est elle-même passionnée pour la Grèce antique. Jusqu’à enseigner aujourd’hui le latin et le grec. Jusqu’à avoir passé dix ans de sa vie à composer ce premier roman tragique et sentimental. Qui nous fait partager le destin de deux personnages qu’Homère n’a qu’esquissés dans L’Iliade : Achille et Patrocle.

On sait qu’Achille, fils de la divinité marine Thétis et du fruste roi Pélée, est le plus brillant guerrier du siège de Troie. On sait moins le lien qui l’unit à Patrocle, avec qui il fut élevé dès l’enfance, le jeune Patrocle ayant été chassé de chez lui par son royal père après avoir tué par maladresse un camarade qui l’agressait. Patrocle n’est pas méchant, juste solitaire et mal ­aimé, plus doué pour la musique que pour le combat. Dès l’adolescence, il se prend à adorer l’éphèbe solaire qu’est le blond Achille aux mille talents. Entre les deux garçons, éduqués par le centaure Chiron sur le mont Pélion, naissent peu à peu une complicité, une fraternité, un amour secret et sublime. Par-delà les différences, par-delà la jalousie et la haine de la divine Thétis ; par-delà la mort même de Patrocle — tué par Hector — dont jamais Achille ne se remettra. Patrocle parle ici à la première personne et conduit le flamboyant récit. C’est à travers son regard qu’on voit autrement le brutal Agamemnon et son mollasson frère Ménélas, le pervers Ulysse et l’innocente d’Iphigénie.

D’épisodes brefs de L’Iliade ressuscitent soudain bien des fantômes. Tout paraît juste et vrai, comme si ces revenants-là sortaient du vieux poème homérique pour mieux se confier. Bien sûr qu’Achille a dû aimer follement ­Patrocle, et réciproquement. Bien sûr que les fureurs de la guerre pouvaient se conjuguer, aussi, aux délicatesses d’une passion partagée. D’une pudeur comme d’une violence extrêmes, voilà le roman du poème. Si d’autres épisodes de L’Iliade ont déjà donné matière à roman — notamment l’admirable Une rançon, de l’Australien David Malouf, où Priam, vieux roi de Troie, traverse le camp ennemi pour récu­pérer auprès d’Achille le corps de son fils Hector (1) —, chez Madeline Miller règne une grâce singulière et ténue, entre frénésie politique et intimité de l’amour. Elle ne porte jamais le drapeau de la cause gay à travers ses deux héros, elle fait juste de leur histoire une élégie racinienne. — Fabienne Pascaud

 

(1) Ed. Albin Michel, 224 p. 17,50 €.

 

The Song of Achilles, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Auché Ed. Rue Fromentin, 382 p., 23 €.

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