Le Bureau des Jardins et des Étangs

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Le Bureau des Jardins et des Étangs

Combien pèsent-elles, les carpes dodues qui s’agitent dans les vasques en osier aux deux extrémités de la palanque reposant sur les épaules de Miyuki ? Miyuki a 27 ans, une « maigre silhouette d’herbe folle », un tempérament docile, et le chagrin qui l’accable est plus lourd encore que les poissons dont son dos est chargé. Son époux, le pêcheur Katsuro, vient de mourir, noyé dans les boues de la rivière Kusagawa, sous le regard indifférent d’un héron blanc. C’est donc à elle qu’il incombe de transporter, du village perdu de Shimae jusqu’à la ville impériale de Heiankyo, les dernières carpes que Katsuro avait sorties de l’eau. Là-bas les attend Nagusa Watanabe, le directeur du Bureau des Jardins et des Etangs, en charge de l’entretien des plans d’eau des temples de Heiankyo. Voici donc Miyuki au seuil d’un périlleux voyage, dont le caractère initiatique se laisse aisément deviner — « Depuis la mort de Katsuro, la jeune femme vivait dans un brouillard qui assourdissait les sons, détrempait les couleurs. Mais elle pressentait que cette opacité se déchirerait dès qu’elle prendrait la route… ».

Il ne fait aucun doute que Didier Decoin possède, sur le Japon en général et sur l’époque de Heian (ixe-xiie siècle) en particulier, une formidable érudition. Tout ce savoir imprègne Le Bureau des Jardins et des Etangs, il y infuse, irriguant chaque phrase, chaque image (et Dieu sait que le roman en est truffé, comme si s’y déployait une collection d’estampes), mais avec un tel naturel qu’il se fait oublier, comme éclipsé par la parfaite étrangeté du récit, la beauté et la sensualité de ce conte saturé de couleurs pures, d’odeurs délicates ou triviales, d’oiseaux blancs et de mille autres motifs chargés d’une symbolique aussi mystérieuse qu’agissante. Inventant pour Miyuki un voyage mouvementé — Miyuki, du corps de laquelle il émane une odeur incomparable, « quelque chose de sauvage, un relent de forêt, d’herbes froissées, de terre détrempée, de tanière » —, laissant volontiers le fantastique faire irruption sur son éprouvant chemin, Didier Decoin ne se livre pourtant pas à un vain pastiche. Car Le Bureau des Jardins et des Etangs s’offre à lire avant tout comme un grand roman d’amour, auscultant l’intimité du couple passionné que formèrent la simple et discrète Miyuki et l’âpre Katsuro — passion à laquelle la mort même ne saurait mettre fin. — Nathalie Crom

 

Ed. Stock, 392 p., 20,50 €.

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