L’Arabe du futur. Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)

Ajouter un commentaire

L’Arabe du futur. Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)

Il se souvient : « La première fois que j’ai vu Homs, il pleuvait. » Il se souvient aussi qu’à la descente du bus, un vendeur de rue a sorti un poussin « inerte » d’une cage en plastique, pour le jeter sur un gros tas d’autres poussins « inertes ». Riad Sattouf ne comprend pas tout. Il a 5 ans. Trente ans plus tard, c’est une myriade d’images que le dessinateur fait émerger au fil d’Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) – sa propre jeunesse, entre la Libye et la Syrie, avec interludes bretons à peine moins exotiques.

Au début des années 1970, le jeune Syrien Abdel-Razak Sattouf a obtenu une bourse pour venir étudier à la Sorbonne. Il y rencontre sa future épouse, originaire de Bretagne. Riad naît l’année même où son père soutient sa thèse de doctorat en histoire contemporaine. Ce dernier refuse, dans la foulée, un poste de maître-assistant à Oxford pour étrenner son titre de maître, tout court, à l’université de Tripoli, dans la Libye de Kadhafi, « ce grand président arabe » qu’il admire alors sans réserve. Les souvenirs de Riad Sattouf s’ordonnent de facto autour de ce père qui décide de tout, avec la conviction absolue que seule l’éducation peut contrecarrer l’obscurantisme religieux et ouvrir la voie à « l’Arabe du futur ».

On connaît, de Riad Sattouf, l’ironie crépitante, celle qu’il inflige à son héros préféré, Pascal Brutal, macho d’anthologie très bodybuildé sauf du cerveau. On a pu jauger son exceptionnel sens de l’observation dans les micro-épisodes de La Vie secrète des jeunes, décapés à l’humour acidulé, le même qui a fait le succès de son premier film, Les Beaux Gosses. Tout se passe cette fois comme si, en reprenant la main sur son passé, il s’attachait à ne surtout pas en faire un drame. Plutôt un jeu de piste flottant, tel qu’il apparaît dans le regard amusé, dérouté, inquiet, perplexe ou fasciné de l’enfant qu’il était. C’est à travers ce même regard, et cet art irrésistible de la saynète bouclée en quelques cases, que Sattouf débusque ainsi, en Libye, l’absurde qui frappe en même temps que la pénurie alimentaire quand, pendant des jours et des jours, on ne distribue que des bananes avec cette magnifique justification du sbire de service : « Le Guide, qui adore les bananes, dit que c’est le fruit du peuple. » On savoure aussi cette scène d’anthologie où la grand-mère syrienne du petit Riad lui suce l’oeil pour apaiser une irritation…

Du général au particulier, et retour, dans un puzzle d’instantanés mobiles, colorés, sonores, Sattouf met au jour, par touches, les failles et les dérives d’une société, d’un régime, d’un système. Il fait mine de s’en amuser, mais n’use de l’anecdote que pour mieux enfoncer le clou. Pour ses petits-cousins syriens, Riad, ce garçon tout blond venu d’ailleurs, ne peut être qu’un Juif, un « Youdi » ; c’est l’insulte ultime, la stigmatisation répétée à l’infini, jusque dans les figurines en plastique avec lesquels jouent les enfants, où les soldats israéliens sont toujours représentés dans « des poses fourbes et des attitudes de traîtres ».

Quant au père, aussi omniprésent que déroutant, avec ses blagues maladroites, sa mauvaise foi, sa frime surjouée et ses contradictions, il incarne à lui seul le malaise généralisé qu’on perçoit en fond de décor. Aussi peu religieux que possible, Abdel-Razak Sattouf est capable de balancer une pierre à un bouc sans prévenir, parce que « le Satan, qui est l’ennemi de Dieu, peut se cacher sous la forme d’un animal ». Il continue de croire à « l’Arabe du futur », éduqué, ouvert sur le monde, mais n’en finit pas de rêver d’une réussite qu’on mesurera à sa « Mercedes dernier modèle » et à « la villa de grand luxe » qu’il fera construire, bientôt, dans son village natal. On a comme l’intuition que rien ne se passera vraiment selon ses rêves… A suivre dans les deux tomes à paraître d’ici à 2016.

Commandez le livre L’Arabe du futur. Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984)

Laisser une réponse