L’Âge des lettres

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L’Âge des lettres

Dans son autoportrait, Roland Barthes raconte qu’un jour, au sanatorium de Leysin, un morceau de côte, qui lui avait été enlevé lors d’un pneumo­thorax, lui fut rendu par les médecins. De peur d’attenter à sa personne, l’écrivain garda longtemps ce bout d’os dans un tiroir, puis décida de s’en débarrasser — en le balançant du « haut du balcon », pour ne pas avoir la sensation désagréable de se jeter à la poubelle… Cent ans après sa naissance (le 12 novembre 1915), que reste-t-il du corps de Barthes ? Comment ceux qui l’ont côtoyé physiquement se souviennent-ils de lui ? Deux proches, non sans difficultés, s’essaient à l’exercice, qu’on sent forcé par le calendrier des commémorations, imposé par des éditeurs décidés à occuper le terrain.

Roland Barthes différenciait deux régimes de lecture : le plaisir, ­classique (confort, continuité), et la jouissance, moderne (transgression, perte de soi). Quand Antoine Compagnon (plaisir ?) se plaît à évoquer un Barthes véloce, palpant son cigare ou dévorant un nem avec les doigts, Philippe Sollers (jouissance ?) confie l’étendue de son chagrin : car « ce manque de Barthes, ça tient tout simplement à sa manière d’être, à son corps » — sa façon de « jouer du piano », sa « graphie », le « timbre de sa voix ». Soit. Présenté comme une forme de réponse à Sollers écrivain (l’ouvrage que Barthes lui consacra en 1979 et qui reparaît en poche pour la circonstance), L’Amitié de Roland Barthes est en fait un bric-à-brac réchauffé. Rien d’inédit, si ce n’est un premier texte, ou plutôt un entretien arraché à la va-vite, et reproduit tel quel, nonchalant, avec des scories du type « Un texte que je venais d’écrire était sur Dante », le tout augmenté d’une trentaine de lettres de Barthes adressées à Sollers.

La correspondance entre Barthes et Compagnon est l’un des motifs de L’Age des lettres. Mais où peut donc bien se trouver ce paquet de lettres, jadis glissé dans une boîte à chaussures ? Compagnon, s’il cède çà et là à l’entre-soi, sait aussi y manier l’humour (sur l’amour fou qui unit Barthes et sa mère : « Moi qui ai perdu ma mère tout jeune, et qui en ai souffert, je me dis que par un autre côté il se peut que je l’aie échappé belle »…), et l’autodérision (« Un ancien élève de Barthes qui nous bassine avec Sainte-Beuve ! »), révélant finalement plus de choses sur lui-même (sa distance, son système de défense) que sur ce maître qui lui offrit un jour sa vieille machine à écrire Olivetti. Laquelle, elle aussi, finit sur un trottoir, emportée par un chiffonnier… — Juliette Cerf

 

Ed. Gallimard, 168 p., 15 €.

Ed. du Seuil, 192 p., 19 €.

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