La Propriété

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La Propriété

Une vieille femme juive, Regina Segal, retourne dans sa Pologne natale afin de récupérer la propriété dont ses parents ont été spoliés à l’arrivée des nazis, en 1939. Ce qui frappe, à la fin d’une incertaine aventure intime qui va durer sept jours, c’est tout ce dont Rutu Modan s’exonère. Et d’abord de ces images ressassées à l’infini d’un passé qui ne passe pas. Peu encline à la nostalgie (« Varsovie ne m’intéresse pas, c’est un vaste cimetière », dit-elle), son héroïne a des réactions si contrastées, tour à tour irascible et déprimée, qu’elles déroutent sa petite-fille, Mica, qui l’accompagne. Qu’est-elle venue chercher ? Et dans quelle mesure la mort de son fils, deux mois plus tôt, a-t-elle été un déclic ? Quelles arrière-pensées animent des personnages secondaires, mais pas anodins — le guide polonais qui tombe amoureux de Mica ou cet envahissant ami de la famille, trop curieux pour être honnête ? Consacrée dès son premier roman graphique (Exit wounds, 2008), la dessinatrice israélienne est une remarquable conteuse. Elle contourne les interrogations existentielles, et pour­tant chaque acte, chaque réplique y renvoie, en un subtil dégradé d’émotions, mais aussi de demi-vérités et de quiproquos. La mémoire — celle qu’on perpétue, celle qu’on occulte — est, évidemment, la clé de l’histoire. Rutu Modan en pointe les dérives (« Moi, je préfère Majdanek, c’est plus effrayant qu’Auschwitz », une phrase qu’elle a entendue et qu’elle met dans la bouche d’un habitué des excursions mémorielles). Et elle n’est jamais plus convaincante qu’en revisitant avec l’impertinente ironie qu’on retrouve dans un trait net, expressif, très ligne claire, les zones d’ombre, bouleversantes ou dérisoires, d’une tragédie universelle. Tout en se gardant bien d’en faire un drame. — Jean-Claude Loiseau

 

Traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech Ed. Actes Sud BD 228 p., 24,50 €.

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