La Poupée de Kafka

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La Poupée de Kafka

La véritable crevasse qui sépare le père et sa fille pourra-t-elle jamais se combler ? Professeur à la Sorbonne, spécialiste de la littérature allemande (surtout celle de l'entre-deux-guer­res), Abel Spieler, un peu joueur avec la vie des autres — étudiantes séduites, femme trompée, fille délaissée —, est hanté par Franz Kafka, dont il connaît par coeur le Journal. Julie Spieler, sa fille, orpheline de sa mère, et presque de son père qui, enfermé dans son bureau, a dressé « un écran opaque » entre lui et le monde, bien que lectrice à 6 ans de La Métamorphose et promise à de brillantes études, est ­finalement en rupture de ban. « Un con », dit-elle de son père. Mais elle l'aime.

Qui mieux que Kafka pourrait retisser les liens entre le père et la fille ? Une légende peut-être, à moins qu'il ne s'agisse d'une histoire vraie. En 1923, dans le parc de Steglitz, à Berlin, l'écrivain voit une petite fille qui pleure la perte de sa poupée. Pour rassurer l'enfant, il s'engage à lui apporter chaque jour les lettres qu'il aura reçues de la poupée partie en voyage. Et pendant trois semaines, réfugié dans sa maison de Grunewaldstrasse, Kafka rédigera les lettres en question pour calmer le chagrin de la petite fille. Fable ? Dora Diamant, sa compagne, aurait rapporté l'histoire à Max Brod et à la traductrice en français, et essayiste, Marthe Robert. Réelles ou fictives, les fameuses lettres, trésor disparu, hantent depuis les rêves qu'ont tous les spécialistes de Kafka de toucher le Saint-Graal. La ­petite fille du parc Steglitz de 1923 a-t-elle jamais existé ? Julie Spieler est persuadée de l'avoir retrouvée en la personne d'Else Fechtenberg, une vieille femme acariâtre, bloc de silence et de cynisme, peu conciliante envers les « universitaires ­désoeuvrés » qui aimeraient mettre la main sur la correspondance…

Un père, sa fille, une vieille femme mystérieuse, et Kafka dans le rôle du spectre bienveillant sont les protagonistes de ce roman, merveilleux de style et de sensibilité. Quant à la crevasse qui sépare Abel et Julie, ne serait-elle pas dissimulée sous la neige du paysage de montagne où l'intrigue, finalement, se dénoue ? — Gilles Heuré

 

Ed. Actes Sud, 272 p., 20 €.

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