La Poupée

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La Poupée

En dépit de son nom si joliment français — hérité d’ancêtres originaires de Normandie et surtout de la Sarthe, dont elle a conté la saga dans Les Souffleurs de verre (1963) —, Daphné Du Maurier (1907-1989) incarne pour nous l’archétype d’une certaine littérature anglaise. Non pas la veine réaliste et sociale, où brillèrent tour à tour Defoe, Fielding, George Eliot ou encore Thackeray, mais aux antipodes de cela, un courant plus baroque, fantasque, intensément innervé par la poésie romantique, l’univers romanesque des Brontë, le lyrisme mélancolique d’un Thomas Hardy. Daphné Du Maurier « a insufflé une vie nouvelle dans la forme ancienne du roman gothique », résumait à sa mort un critique britannique. Si réalisme il y a, chez Daphné Du Maurier, il est dans la psychologie infiniment complexe dont elle dote ses personnages, et plus encore dans l’en-deçà de la psychologie, où elle évolue comme chez elle, s’employant à saisir et à exposer l’inconscient de chacun, ses méandres et ses corridors sans fin, déployant les pulsions et les obsessions qui échappent à la pensée et au langage en les inscrivant dans les paysages, les atmosphères, les décors — ah, les salons trop sombres et les couloirs hantés du château de Manderley, les brumes opaques et menaçantes où se noient les landes de Cornouailles…

C’est ce qui a fait, dès ses premiers ouvrages — La Chaîne d’amour (1931), L’Auberge de la Jamaïque (1936), bien sûr Rebecca (1938) —, l’immédiat et immense succès populaire de Daphné Du Maurier, rapidement relayé par les adaptations cinématographiques d’un Alfred Hitchcock qui avait immédiatement trouvé à faire son miel de l’inquiétante étrangeté irradiant des pages de Rebecca, de L’Auberge de la Jamaïque et de celles de la nouvelle Les Oiseaux. Rassemblées en volume pour la première fois, les nouvelles de jeunesse qu’a écrites l’auteure future de Ma cousine Rachel, alors qu’elle avait entre 20 et 25 ans, démontrent autant la précocité de son intérêt pour les replis cachés de l’âme que son impudence crâne à les ausculter. A mettre au jour les secrets forcément scabreux qu’ils recèlent, quels que soient le malaise ou l’épouvante qui pourraient en naître.

La sexualité et ses tabous nourrissent l’imagination de Daphné Du Maurier, les intuitions freudiennes guident son esprit, le souci de simplicité conduit sa plume. C’est en 1928 qu’a été écrite La Poupée — dont le recueil tire son nom —, qui ne trouva pas alors d’éditeur tant elle fut jugée scandaleuse, qui plus est signée d’une jeune femme de 20 ans. La Poupée met en scène les amours d’une très jeune et énigmatique femme — prénommée… Rebecca — avec un automate grandeur nature, une terrifiante poupée articulée : « Son visage était la chose la plus diabolique que j’aie jamais vue », raconte le narrateur, lorsqu’il est pour la première fois en présence de l’affreuse marionnette, qu’il prend alors pour un adolescent de chair et d’os. Poursuivant : « Son teint était livide comme la cendre, et la bouche était une blessure cramoisie, sensuelle et dépravée. Son nez était fin, avec des narines incurvées, et ses yeux étaient cruels, étroits, luisants, et curieusement immobiles. Ils semblaient vous transpercer — tels des yeux de faucon […]. C’était le visage d’un satyre, d’un satyre plein de haine qui souriait. »

Si elles ne sont pas décrites, les relations charnelles entre la jeune fille et la poupée ne sont pas pour autant une hypothèse, mais un événement explicite, qui impose au récit son dénouement, stupéfiant de netteté et de ténébreuse bizarrerie. Et exercera sur le narrateur de l’histoire l’effet d’un horrible maléfice — comme un secret de famille qui aurait dû demeurer dans l’obscurité et qui, révélé au grand jour, s’avérera destructeur. Continuant indéfiniment de hanter celui qui a imprudemment soulevé le rideau de l’alcôve…

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