La Politesse

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La Politesse

On n’ose dire que l’on s’est beaucoup amusé à la lecture du dernier Bégaudeau. Qu’on a même, maintes fois, éclaté de rire au récit du désastre que l’auteur résume ainsi : « Qui voudrait ne jamais parler littérature n’aurait qu’à s’enclore dans le champ littéraire. » Démonstration en trois actes. Le premier se situe entre janvier et juillet 2012, c’est l’épisode poli. L’auteur encaisse sans broncher, de Paris à Landerneau, les questions de journalistes qui n’ont pas ouvert son livre — « Pourriez-vous nous parler de ce roman ? » —, les rencontres dans des librairies désertes — « En ce moment, c’est difficile » —, les heures de patience et d’humiliation dans les salons du livre, à faire le pied de grue derrière sa pile de romans — « Il est plus là M. Foenkinos ? » Bégaudeau a l’oeil, la phrase file, souvent elliptique, et les dialogues sont aussi fulgurants qu’assassins. Le deuxième acte, un an plus tard, est moins poli. L’auteur reprend, pour un autre livre, son parcours du combattant, la fable peu à peu l’emporte sur le réel, les mêmes scènes reviennent, les mêmes mots, redisposés, recomposés. Ils cognent. L’auteur se rebiffe. Qu’il choisisse ou non d’être poli, la souffrance est la même… Au-delà de l’anecdote, c’est un portrait désolé et désolant que livre Bégaudeau. Un monde du livre agrippé à des leurres, largement paupérisé. Des politiques culturelles coûteuses autant qu’inefficaces. Avec l’acte trois, le livre prend tout son sens. Nous sommes en 2023, l’auteur imagine quelques voies de sortie, s’amuse, invente des lieux un peu loufoques — mais pas seulement —, des squats littéraires, des « Ateliers de conception collaborative », des « Espaces de libre concentration sur les textes » où l’on vote sur le bien-fondé de telle figure de style. Descendue de son piédestal vermoulu, la littérature s’anarchise, se glisse partout. Quant à l’auteur, libéré de l’angoisse des chiffres de vente et de la reconnaissance publique, il est enfin heureux. — Michel Abescat

 

Ed. Verticales, 304 p., 19,50 €.

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