La Police de l’écriture. L’invention de la délinquance graphique (1852-1945)

Ajouter un commentaire

La Police de l’écriture. L’invention de la délinquance graphique (1852-1945)

L’écrit urbain aurait-il perdu sa puissance subversive ? Il fut un temps où il faisait l’effet d’une bombe, comme ce billet anarchiste des années 1890 : « Voici l’échantillon de la poudre qui vous transformera en chair à saucisse pour notre triomphe. Un ami de Ravachol. » Au tournant des xixe et xxe siècles, les inscriptions de ce genre se multipliaient dans la ville, changeant Paris en un dangereux palimpseste, toile de fond de La Police de l’écriture. L’invention de la délinquance graphique (1852-1945). Dans ce nouvel essai (1) , Philippe Artières traque, en historien-enquêteur, la constitution d’un savoir policier sur l’écriture, réaction à ce « formidable » pouvoir dont elle était alors porteuse : « Sa puissance de prolifération, sa capacité à intervenir sur le monde social en font un danger, un risque, une menace. »

L’historien réveille ainsi la dynamique propre au couple savoir/pouvoir, si cher au philosophe Michel Foucault. Il met en scène la construction de la relation entre ces deux drôles de figures que sont le scripteur délinquant et le policier lecteur. Une relation cocréatrice, rythmée par des allers-retours très productifs. Vases communicants, l’écriture et la lecture deviennent tour à tour des armes. Au cours de cette lutte pour la conquête du pouvoir graphique alternent des moments de subversion — culminant avec la Commune, en 1871 – et des moments de reconquête de l’espace urbain par la police. « L’agent, analyse l’historien, doit se constituer en observateur des scènes sociales qui se déroulent sous ses yeux, mais il lui faut aussi pouvoir décrypter les indices, et en particulier être capable de lire les écrits qu’il croise. Il doit être un lecteur actif, et cette nouvelle aptitude doit lui permettre de prévenir le désordre. » Le policier observe, décrit, collecte, « relève les écritures illicites, traque les clandestines et lutte contre les anonymes ». Et les efface, le cas échéant…

Lire Artières, c’est assister à l’éclosion, en direct, d’un objet historique, fascinante anthropologie de l’écriture. Cette dernière naît à même l’archive, au coeur de toutes ces traces urbaines, « gestes minuscules ». Ainsi, un rapport dressé par un gardien de la paix en 1884 : « On a constaté aujourd’hui sur le socle de la statue de la République, en face de l’Institut, les mots suivants peints en vert : "Vive le Roi". Les lettres mesurent 10 centimètres environ de hauteur. Les passants ne prêtent pas beaucoup d’attention à cette inscription. » Ainsi, en 1902, après une ronde au cimetière du Montparnasse : « J’ai fait enlever à la porte du cimetière une inscription : "Aux victimes des assassins de la Commune". » Ainsi, ce mot laissé par un pendu en 1896 : « Quand on est plus bon à rien, il faut partir de la main du défunt. »

On se croirait dans un film de David Fincher, que l’on pense aux lettres anonymes de Zodiac ou aux inscriptions morbides de Seven. Ou encore dans Le Corbeau, qui fut inspiré à ­Henri-Georges Clouzot par l’affaire de Tulle, résolue en 1922 par un certain Edmond Locard (1877-1966), soit le modèle même du policier expert analysé par Artières… Fondateur du laboratoire technique de la préfecture de police de Lyon, Locard devint le grand spécialiste des lettres anonymes (envoyées à la brigade des moeurs notamment), qui foisonnèrent dans l’entre-deux-guerres. En 1927, Edmond Locard écrivait à Conan Doyle : « Très honoré Maître, c’est sous votre influence que j’ai choisi mon métier. […] D’ailleurs, toutes les fois que de jeunes gens me demandent conseil sur les lectures à faire pour se préparer à l’enquête criminelle, je leur indique toujours Sherlock Holmes. » Et nous, Philippe Artières.

Commandez le livre La Police de l’écriture. L’invention de la délinquance graphique (1852-1945)

Laisser une réponse