Claude Jasmin a connu le succès ultime. En publiant La Petite Patrie, en 1972, l’auteur québécois n’imaginait pas l’impact de ce roman autobiographique — aussitôt adapté en série pour la télévision nationale —, si important que Rosemont, le quartier de Montréal où il se déroule, a été officiellement rebaptisé La petite patrie quelques années plus tard. L’auteur y raconte son enfance, la vie, les rêves et les interrogations d’un jeune garçon, au tout début des années 1940. Dans ce quartier populaire et francophone, les familles sont nombreuses, les maisons trop petites et des meutes d’enfants passent leur temps dans la rue. On joue à la guerre, on rêve de patins à roulettes, on fait des farces, puis viennent les premiers émois…
Rien que de très normal dans un roman d’apprentissage qui fleure bon les tartes aux bleuets et le sirop d’érable. Sauf qu’en en faisant l’adaptation graphique Julie Rocheleau et Normand Grégoire ont eu la bonne idée de regarder entre les lignes, d’interroger le sous-texte. Dans La petite patrie, une communauté de voisins cramponnés à un catholicisme pur et dur, il ne fait pas bon être différent, vagabond, chinois ou mère célibataire. Car l’ostracisme, le racisme ne sont jamais loin et les enfants en sont les porte-voix.
Sans trahir l’oeuvre originale, qui relate cela sans s’y attarder, les auteurs de l’album la transforment en un formidable témoignage. Ce n’est plus tant l’histoire du petit Claude, qui peu à peu se rebiffe, que celle d’une société encore prise dans les glaces de la tradition. Et le dégel sera long… Pour s’en convaincre, il faut lire les romans graphiques de Michel Rabagliati — la série des Paul, chez le même éditeur —, qui se déroulent dans le même quartier, trente ans plus tard. Mention spéciale pour le graphisme époustouflant de Julie Rocheleau qui évite à cette Petite Patrie l’écueil de la nostalgie et des madeleines.— Stéphane Jarno
Ed. La Pastèque, 88 p., 20 €.
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