La Petite Communiste qui ne souriait jamais

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La Petite Communiste qui ne souriait jamais

C’est vrai qu’elle avait un côté Buster Keaton, « l’homme qui ne souriait jamais ». Le corps gracile et musclé, capable de se propulser dans les airs comme un cocktail Molotov, et de retomber sur ses pieds, imperturbable, souveraine. Nadia Comaneci a révolutionné le monde de la gymnastique, à 14 ans, aux JO de 1976. Les moins de 40 ans ne peuvent guère s’en souvenir. Lola Lafon a tout juste 40 ans. Et elle s’en souvient comme si elle y était. La preuve que la transmission passe par des canaux mystérieux, des fils invisibles qui relient les êtres. De la poussière de magnésie, tombée des mains de la gymnaste prodige, a dû voler jusqu’à son lit de petite fille de 3 ans, comme une poudre magique. Sinon, comment aurait-elle pu écrire un roman aussi acrobatique, aussi intérieur, au plus près des sensations de la championne roumaine ? Lola Lafon a trouvé son sujet, son double, son miroir, et du choc de cette rencontre jaillit un texte impressionnant de maîtrise et de poésie, comme les numéros de voltige de Comaneci. Cette adéquation de forme est le secret de la réussite du livre. Loin du biopic à l’américaine, le récit prend des risques, ose des apartés imaginaires entre la romancière et l’athlète, s’élève dans les airs avec des descriptions hallucinées des prouesses sportives, enchaîne les figures littéraires les plus personnelles et les plus justes, embrasse la totalité d’une personne hors du commun, avec une économie de moyens et un sens de l’équilibre saisissants.

De Nadia Comaneci, sa grande soeur d’âme, sa compatriote silencieuse, son modèle de force et de fragilité, Lola ­Lafon restitue toute l’ambivalence. A la fois moteur et victime, sujet et objet, l’athlète avance, encore et toujours, « plante carnivore de dangers dont il faut la gaver […], elle grignote l’impossible, le range de côté pour laisser place à la suite, toujours la suite. » Or, il arriva un jour que la suite soit un grand gouffre. Celle qui ne tombait jamais sombra dans l’anonymat, après avoir été déchiquetée par ceux qui la portèrent aux nues. La force de Lola Lafon est d’introduire d’imperceptibles trous dans son récit, d’y incruster des zones de disparition, de transparence, de vide. Elle titube lentement derrière sa muse, « somnambule de sa propre enfance », et le livre fend la brume de la déché­ance avec une pudeur et une justesse exemplaires. Un destin se dessine, terriblement émouvant, celui d’une adolescente qu’on voulut figer dans l’inno­cence. Mais, Lola Lafon ne cesse de le répéter, Nadia Comaneci était un petit écureuil, incapable de tenir en place. Ecrit comme un livre qu’on se passe sous le manteau, un brûlot de résistance plein de sens cachés, La Petite Communiste qui ne souriait jamais met en regard la dictature communiste d’hier et l’asphyxie capitaliste d’aujourd’hui, dénonce l’absurdité d’avoir quitté une prison pour une autre : avant, les gens « avaient constamment peur, c’est vrai, peur qu’on les entende dire des choses interdites, aujourd’hui, on peut tout dire, félicitations, seulement personne ne nous entend. »

Lola Lafon interroge le silence, donne à entendre les cris étouffés de ceux qui ont troqué un bâillon contre un autre. Sa parole est d’or, et prouve que les langues déliées triompheront toujours, qu’elles tracent leurs lettres dans les airs, du bout des doigts de pieds, ou sur le papier, éprises de liberté.

Points communs
Dans La Petite Communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon emboîte le pas virevoltant et aérien de Nadia Comaneci, qui révolutionna le monde de la gymnastique, à 14 ans, aux JO de 1976. Ce livre sonde les mystères de la performance physique et du don de soi jusqu’au sacrifice. L’occasion de se replonger dans d’autres romans sur la beauté de l’exploit sportif.
Courir, de Jean Echenoz (Ed. de Minuit, 13,80 €). Eloge d’un homme banal qui ne fit pourtant rien comme les autres : Zátopek, coureur tchèque dont le roman suit le dessin de la foulée, sur les routes d’un monde lui-même en mouvement permanent.
De la boxe, de Joyce Carol Oates (Ed. Tristram, coll. Souple, 8,95 €). Essai captivant où la prolifique romancière établit un parallèle entre le ring et la table de l’écrivain, car « chaque match de boxe est une histoire – un drame sans paroles, unique et très condensé […], une histoire capricieuse, dans laquelle n’importe quoi peut arriver ».
Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, de Haruki Murakami (Ed. Belfond, 19,50 €). Toujours caustique et désespéré, au plus près d’angoisses qu’il tient bride serrée, l’écrivain regarde ses pieds de marathonien. Comme dans ses romans, le sol se dérobe, et, dans le gouffre qui soudain se creuse, on aperçoit un monde meilleur, empreint de calme et de vérité.
Ping-pong,
de Jerome Charyn (Folio, 7,20 €). Véritable chant d’amour de l’auteur américain à la petite balle de Celluloïd : « Je vis pour le bruit de la balle, le "poc" de ma raquette pendant que je plie mes genoux malingres. Cette concentration féroce m’entraîne dans la texture d’un tourbillon. Je danse. Je rêve… »­
Plonger, de Bernard Chambaz (Ed. Gallimard, 14 €). Rien d’aquatique dans ce livre sur le gardien de but allemand Robert Enke, qui se suicida en 2009, et dont l’écrivain aux semelles de vent retrace le parcours mélancolique et obstiné, avec son habituelle délicatesse.

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