La Neige noire

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La Neige noire

Pas loin de la tragédie grecque, avec ses malédictions, ses destins inéluctables. Pas loin, étrangement, du théâtre nô, avec ses vivants et ses morts omniprésents, ses mauvais sorts et ses démons. Pas loin non plus des westerns de John Ford, avec leurs paysages âpres et désolés, leur solitude. Ni des oeuvres d’art brut, des concerts de musique concrète à la Edgar Varèse, avec cette matière si dense et si folle de mots et de sons à chaque phrase qu’on finit par voir et entendre ce qui nous est diaboliquement conté. C’est que le verbe dru, charnel, excessif, baroque et austère tout ensemble de Paul Lynch et de ses descriptions sculpturales est d’une telle présence, d’une telle violence qu’il devient envoûtement. Comme sont sans doute envoûtés ses personnages… Pour son deuxième opus, l’Irlandais de 38 ans irradie, incendie plus fort encore que dans Un ciel rouge, le matin, impitoyable chasse à l’homme d’Irlande en Amérique. C’est le voyage inverse — mais pas plus heureux — qu’il nous fait justement faire dans La Neige noire. A New York, un couple d’ouvriers irlandais et leur jeune fils choisissent de revenir au pays de leurs aïeux et de s’y transformer en éleveurs. Mais personne ne les attend plus là-bas. Que la jalousie et la haine.

Ça commence par l’incendie — fulgurante première scène — de leur étable, avec leur vieux commis et leurs quarante-trois vaches, courant en flammes aux quatre coins de leur domaine. Ça se poursuit par le massacre de leur chien, de leurs ruches… La mort rôde sans fin dans ce récit imprévisible où le pire n’est jamais sûr, où la cruauté est infinie et le courage à la combattre aussi. Au risque d’en mourir ou d’en devenir fou… Les personnages de Paul Lynch sont des taiseux. Leurs dialogues minimalistes s’inscrivent d’ailleurs dans le texte même, sans guillemets, comme si tout était silence ou paroles fondues dans l’immensité du vide, du noir, de l’absence tragique d’espoir.

Nulle solidarité ici, nulle fraternité. Rien que l’envie, un climat biblique et primitif à la Caïn et Abel. Est-ce parce qu’il est aussi critique de films, connaît à merveille images, mises en scène, éclairages et atmosphère que le romancier Paul Lynch nous entraîne si fort dans sa sarabande d’êtres calcinés, morts-vivants ? L’écriture s’est métamorphosée en fascinant cinéma. Ou rituel magique… — Fabienne Pascaud

 

Ed. Albin Michel, 320 p., 20 €.

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