La Guerre de face

Ajouter un commentaire

La Guerre de face

La chronique mondaine a pu retenir qu'elle avait été la troisième femme d'Ernest Hemingway. Mais une fois le carnet blanc refermé, il faut lire les articles que Martha Gellhorn (1908-1998) a rédigés lors des conflits qu'elle a traversés. A partir de 1937, pendant la guerre d'Espagne, la journaliste américaine est à Madrid. La vie qui continue, elle l'observe avec avidité, cherchant les petits détails qui ne sont pas mentionnés dans les rapports officiels : les femmes en noir qui ne quittent pas la queue devant les magasins pour Commander quelques provisions, même quand les obus pleuvent sur la ville ; les rues remplies de boue qui « avaient une ­couleur moutarde » ; les tramways aux phares bleus camouflés ou, à Barcelone, les femmes qui jettent des fleurs sur les combattants des Brigades internationales défilant sur la Diagonal.

En 1939, Martha Gellhorn est en Finlande ; quelques mois après, on la retrouve en Chine. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle sera avec les soldats français dans les montagnes d'Italie : « Ils combattent pour l'honneur de la France, ce qui n'est pas une simple phrase, comme on pourrait le croire, mais la fierté personnelle et invincible de chacun d'entre eux. » Autorisée, non sans mal, à suivre les unités combattantes américaines, notamment lors de la bataille des Ardennes, elle montera à bord de Northrop P-61 en mission, ces avions surnommés les « veuves noires », discutera avec les soldats au visage de « pierre grise » de ces terribles derniers mois de guerre et, songeant au massacre d'Oradour-sur-Glane, n'éprouvera aucune commisération en entendant les Allemands qui se plaignent des bombardements et se disent tous anti-­nazis. Du camp de Dachau, dont elle a assisté à l'ouverture, Martha Gellhorn avoue son incrédulité : « Nulle part nous n'avons vu une chose pareille. » En 1959, relisant ses articles de 1945 pour leur donner une préface, elle n'en changera pas une ligne, pour ne pas modifier le regard qui avait été le sien : « J'ai raconté ce que j'ai vu et la haine était la seule réaction que pouvaient provoquer ces visions. »

Elle couvrira encore la guerre du Vietnam, celle dite des Six-Jours en ­Israël, celles qui ont déchiré le Salvador, le Nicaragua et le Panama. Des articles exceptionnels (1) , où l'on perçoit tous les états d'âme par lesquels Martha Gellhorn est passée pour voir et parfois comprendre les souffrances de la guerre. — Gilles Heuré

 

(1) A signaler aussi, la parution, aux éditions du Sonneur, de Mes saisons en enfer : cinq voyages cauchemardesques.

 

The Face of war, traduit de l'anglais (Etats-Unis) et préfacé par Pierre Guglielmina, éd. Les Belles Lettres, 506 p., 23 €.

Commandez le livre La Guerre de face

Laisser une réponse