La Grande Musique

Ajouter un commentaire

La Grande Musique

C’est un bien fascinant roman que celui-là. On en sort comme d’un fabuleux voyage, ou plutôt d’un étrange concert cent fois prolongé… D’abord, on avait eu du mal avec cet objet littéraire bizarre, à la fois ouvrage musical savant, sombre épopée familiale, histoire d’amour et d’inceste, de père et de fils, d’absolue solitude et de cornemuse. Et puis la magie, peu à peu, avait opéré. Conçu comme un patchwork où se cousent et se décousent sans fin notes érudites, journal intime, dialogue théâtral, commentaires et confidences enche­vêtrées des divers protagonistes, La Grande Musique organise, orchestre, d’ailleurs superbement, le mystère. Ainsi le roman commence et se boucle par ces mots énigmatiques, que murmurent au vieux héros John Sutherland pas moins que les montagnes écossaises : « Je ne m’en soucie pas, je ne m’en soucie pas, je ne m’en soucie pas »

Chant des Highlands, arias des âmes : l’entreprise de la romancière néo-zélandaise Kirsty Gunn, 53 ans, est aussi hallucinante que celle de James Joyce dans Finnegans Wake ou Virginia Woolf dans Les Vagues. La composition éclatée du récit, la matière sonore des mots choisis, le rythme répétitif des souvenirs disent davantage que le prétendu sens des phrases écrites. C’est la forme qui fait ici entrer au coeur des êtres. Et des paysages qui les forgent. Impossible en effet de ne pas céder à la tentation de la terre natale quand on est du clan Sutherland. Impossible d’échapper aux ancêtres qui y sont nés, maîtres en l’art de la cornemuse. Même martyrisé par son impitoyable cornemuseur de père, John reviendra lui aussi, après une brillante carrière d’entrepreneur à Londres. Et il se mettra à composer les plus beaux morceaux. Jusqu’à ce « Lamento pour lui-même » final, qu’il veut écrire au coeur des Highlands en kidnappant un bébé, ses notes, ses cris, sa mélodie pour que, dans sa musique, une vie nouvelle naisse de l’ancienne. La tragédie alors surgit… Le roman adopte la structure même des plus anciennes musiques écossaises. Avec variations et mouvements où, en leitmotiv, certaines situations sont réinterprétées par d’autres voix. D’autres timbres. On est envoûté : Kirsty Gunn est parvenue à faire de la lecture musique. On est dans les mots. Et dans les sons. — Fabienne Pascaud

 

The Big Music, traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Jacqueline Odin Ed. Christian Bourgois 618 p., 20 €.

Commandez le livre La Grande Musique

Laisser une réponse