La Fin de l’intellectuel français ? De Zola à Houellebecq

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La Fin de l’intellectuel français ? De Zola à Houellebecq

« J’ai gardé un clair souvenir des personnages extraordinaires qui évoluaient entre l’écriture littéraire, le journalisme et l’action politique, entre la liberté sexuelle et la morale humaniste. Ils excitaient ma curiosité et nourrissaient mon imaginaire quelque peu poétique. J’étais subjugué par la légèreté romantique qui enveloppait ceux qui vivent de l’écriture, par l’idéalisation de leurs engagements intellectuels au service des causes justes, dans le décor enchanteur de la « Ville ­Lumière » »… Vous les avez reconnus ? Il s’agit des personnages du roman de Simone de Beauvoir, Les Mandarins (1954) — notamment inspirés par Jean-Paul Sartre et Albert Camus —, lesquels, dans les années 1960, furent les héros de jeunesse de Shlomo Sand, qui grandit en Israël. Auteur en 2008 de Comment le peuple juif fut inventé, l’historien israélien, né en 1946 en Autriche et professeur à l’université de Tel-Aviv, vient de publier un essai en forme de point d’interrogation, La Fin de l’intellectuel français ?

Son sous-titre, De Zola à Houellebecq, en dit long : comment les écrivains sont-ils passés d’un J’accuse à l’autre ? De la défense acharnée de ­l’innocence du capitaine juif Alfred Dreyfus sous la IIIe République à la parution d’un roman sur l’islam nommé Soumission, dont la sortie a coïncidé avec l’attaque du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo. Houellebecq est aussi l’auteur d’une tribune, écrite après les attentats du 13 novembre 2015 (initia­lement parue dans le quotidien italien Corriere della sera), « J’accuse Hollande et je défends les Français », dans laquelle il traitait le président d’« insi­gnifiant opportuniste » et son Premier ministre Manuel Valls de « demeuré congénital »… Déchéance ?

« Alors que l’intellectuel parisien moderne est né dans le combat contre la ­judéophobie, le crépuscule de l’intellectuel du début du xxie siècle s’inscrit sous le signe d’une montée de l’islamophobie », synthétise l’historien des idées. Quatorze ans après l’essai pionnier de Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Shlomo Sand épingle à son tour cette famille de penseurs ou polémistes conservateurs et déclinistes, qui va de Michel Houellebecq à Renaud Camus, en passant par Alain Finkielkraut et Eric Zemmour — ces deux fils d’immigrés (Juif polonais pour le premier, Juif berbère pour le second) qui ne ­cessent de défendre l’identité et les ­racines françaises, de mythifier un « passé stable et homogène qui, en fait, n’a jamais existé ».

Shlomo Sand signe un étrange ouvrage, sa dimension historique et érudite se mâtinant d’une charge pam­phlétaire et personnelle. Plus que les grandes balises (La Trahison des clercs de Julien Benda, l’intellectuel spécifique à la Foucault, etc.), c’est l’autoportrait qui s’y dessine qui s’avère le plus original : le destin de ses parents, sa mère femme de ménage, son père travailleur manuel communiste ; son choix du métier d’historien comme façon de pallier son incapacité à changer le cours de l’Histoire en tant que militant de gauche. Pierre Bourdieu, ici cité, insistait déjà sur la difficulté de la tâche : « La sociologie des intellectuels est sûrement le point le plus faible de toute la sociologie, et pour cause : en ce cas, les intellectuels sont juge et partie »… — Juliette Cerf

 

Traduit de l’hébreu par Michel Bilis, éd. La Découverte, 288 p., 21 €.

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