« La fille » qui donne son titre au livre d’Eric Marty, c’est Claudie : un garçon, en fait, habitant de Landon, petite commune sinistrée du nord de la France où l’on n’arrive qu’à pied. Landon a une église désertée où le curé ne vient que pour célébrer Noël et Pâques, et à la gare il ne passe plus de trains. A Landon, les rues se nomment « des Noyers » ou « des Ecus », et seuls quelques lieux abritent encore une humanité oubliée : au lavoir, les femmes viennent faire leur lessive ; le vieux blockhaus cache des étreintes fugaces ; à l’auberge, on boit et on attend. Dans cet univers restreint, Claudie est une « créature » qui intrigue, scandalise et séduit tour à tour, protégée par le narrateur mais poursuivie par les frères Palacio, des brutes avinées qui ne pensent qu’à la posséder. Quand ils s’emparent de Claudie, ils l’obligent à un strip-tease dans l’auberge glauque, cérémonie proche du lynchage. Et Claudie, maquillée, les yeux noircis, souvent muette, otage des désirs des autres, y compris de ceux du narrateur, semble attendre sa destinée, sans résignation mais sans passion, avec toutefois une imperceptible insolence.
Claudie restera mystérieux/se : on guette les sons de sa voix, sonorités étranges qui filent dans le vent comme autant de petits fragments d’un discours amoureux qui peine à se formuler. Eric Marty, spécialiste de Gide et de Roland Barthes (il est le cocommissaire de l’exposition « Les écritures de Roland Barthes », actuellement à la Bibliothèque nationale de France), cisèle son écriture pour suivre une petite figure qui n’est pas sans évoquer Rimbaud, évoluant dans les phrases comme dans des ruelles sombres fréquentées par de drôles de paroissiens. — Gilles Heuré
Ed. du Seuil, 200 p., 19 €.
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