On gardera longtemps en tête le pudique et violent regard qui orne le bandeau du livre… Il semble tellement à l’image de sa bouleversante héroïne, cette « dernière fugitive », si réservée et si intrépide à la fois… Depuis l’an 2000, et La Jeune Fille à la perle – la très belle servante du peintre Vermeer –, on connaît le talent de l’Américaine Tracy Chevalier à brosser de singuliers portraits de femmes ordinaires, invincibles conquérantes de l’ombre. C’est d’une jeune quaker, Honor – impressionnant prénom ! –, fraîchement débarquée en Amérique de son Angleterre natale, qu’il s’agit ici. Abandonnée par son fiancé et redoutant d’être bientôt exclue de sa sévère communauté quaker – ou rigide Société des Amis –, elle a décidé, en 1850, de traverser l’Atlantique avec sa sœur promise à un Ami pionnier de l’Ohio. Mais la sœur meurt de la fièvre jaune sitôt arrivée, et Honor devra affronter seule la brutalité et le rigorisme mêlés d’un pays encore esclavagiste… De l’intransigeance des protestants quakers – mouvement créé par George Fox en 1648 –, de leur culte fondé sur le silence et le lien direct avec Dieu, on saura tout ici ; de la confection des quilts aussi, ces formidables patchworks où excellent de génération en génération les Anglo-Saxonnes ; et de l’historique Chemin de fer clandestin enfin, qui permit aux abolitionnistes américains d’aider les esclaves noirs en fuite à se réfugier au Canada… Mais par-delà l’authenticité, le souci du détail vrai – même savoureusement pittoresque et passionnant –, c’est le mystérieux cheminement intérieur de Honor qui fascine. Comment une jeune timide se met à défier les interdits au nom même de ses valeurs morales et de sa foi. Jusqu’à ne plus rien redouter, même l’exclusion de toutes les communautés. L’écriture classique et claire de Tracy Chevalier, ses descriptions bruissant de lumière, de verdure, de neige et de silence deviennent alors étrangement un envoûtant défi à l’impossible…
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