La Comtesse Greffulhe, l’ombre des Guermantes

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La Comtesse Greffulhe, l’ombre des Guermantes

Jusqu'à sa mort, Marcel Proust quémandait encore un portrait à celle qui avait inspiré Oriane, la duchesse de Guermantes de son célèbre A la recherche du temps perdu. En vain. Jamais la comtesse Elisabeth Greffulhe n'accepta de lui en offrir un. Les photographies figent trop la beauté d'une femme, avait-elle coutume de répliquer à celui qu'elle fréquenta bien davantage qu'elle voulut jamais l'avouer. N'allant quand même pas jusqu'à lire les ouvrages de ce « petit Marcel » – à peine admis dans son prestigieux salon de la rue d'Astorg –, dont elle fut pourtant la muse la plus envoûtante.

Injustice et ironie des temps : c'est par Proust, c'est par la fiction, la littérature – le mensonge peut-être – qu'on connaît surtout aujourd'hui celle qui régna réellement sur la politique, les sciences et les arts de la Belle Epoque. Cette dreyfusarde, féministe, amie de Clemenceau et soutien de Léon Blum qui ne redoutait aucune modernité, sut défendre Wagner comme les Ballets russes, trouver des financements pour l'Institut Marie Curie comme pour le laboratoire du physicien Edouard Branly, faire con­naî­tre Fauré ou Reynaldo Hahn en créant une Société des grandes auditions musicales, en jouant les agents artistiques avant l'heure, ou même les entrepreneurs de spectacles à travers ces phénoménales soirées à Versailles ou ailleurs, auxquelles le meilleur de l'aristocratie et les têtes couronnées de toute l'Europe rêvaient d'assister. C'est qu'Elisabeth Greffulhe possédait l'art de la mise en scène. Des autres, et de soi-même. Toilettes de tulles et de voiles savamment sculptés pour valoriser sa svelte et évanescente silhouette, son port de reine, son éblouissante et sombre chevelure, et son regard de feu et de mélancolie… Même au mariage de sa fille, c'était elle qu'on photographiait. Irrésistible jusqu'à la fin de sa vie, à 92 ans, quand, en 1952, presque ruinée, elle résistait au froid dans une sorte de cabane installée au coeur de sa demeure désormais vide.

Ce qui avait forgé la folle énergie de la dépressive et malheureuse épouse d'un mari trop volage, cruel et jaloux, son « trou noir » disait-elle ? Un amour impossible mais partagé avec le séduisant compositeur italien et prince de Bassano, Roffredo Caetani, de onze ans son cadet… Dix ans durant, Elisabeth aima platoniquement le neurasthénique musicien et voulut être sublime pour lui plaire. Jusqu'à ce qu'il se mariât. Sans doute son existence, magnifiquement contée ici par Laure Hillerin, aussi fine connaisseuse de l'époque que de Proust et de sa Recher­che, fut-elle plus romanesque encore, plus théâtrale qu'à travers la plume du « petit Marcel ». Sans lui, pourtant, on aurait bel et bien oublié cette femme hors norme qui sut si bien modeler le réputé grand monde de son temps. L'Histoire n'aime guère les femmes hors norme…

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