La Clarinette

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La Clarinette

« Les morts ne parlent aucune langue parce qu'ils ont bu l'eau du fleuve Léthé et qu'ils ne se souviennent plus de rien », songe le narrateur de La Clarinette, un jour qu'il est assis dans le jardin d'un hôpital parisien. Ses morts à lui parlent pourtant, ils conversent avec lui à mi-voix — son père, sa mère, son frère, tous disparus, que rejoindra bientôt cet ami qui, depuis quarante ans, est pour lui comme un autre frère. Un alter ego, un complice, de ceux qu'on élit par le coeur et que la maladie est sur le point de terrasser. Il se trouve que le narrateur est écrivain, que cet ami est écrivain aussi, en outre son éditeur ; alors écrire un livre s'impose comme le moyen de poursuivre, par-delà la mort, la discussion entre eux engagée depuis si longtemps — « Je me suis rendu compte que la forme la mieux adaptée à mon projet était celle de la conversation et que mon interlocuteur ne pouvait être que toi. »

Ce livre en projet, ce sera La Clarinette. Adressé à ce « toi », ce « tu », à Jean-Marc Roberts, mort en 2013, un beau roman/récit, sorte d'ouvrage gigogne, ou pour mieux dire composite, dans lequel Vassilis Alexakis assemble et relie, avec un naturel étonnant et admirable, des thématiques et des motifs a priori plus que distants. Car ce qui était au départ « un texte sur la crise grecque et aussi sur la mémoire » l'est resté, tout en devenant de surcroît, « sous la dictée des événements », un bouleversant tombeau pour l'ami disparu. C'est entre le passé et le présent, entre la chaleur des souvenirs heureux et le chagrin de l'absence qui s'est installée désormais, entre aussi Paris et la Grèce (Athènes, Tinos), entre la langue maternelle (le grec) et celle de l'écriture (le français, qui de plus « me restitue le son de ta voix »), que se tient Vassilis Alexakis. Non pas oscillant, hésitant, mais embrassant, dans un seul et même geste, l'intime — la réflexion sur le temps, la perte de ceux qu'on aime, le vieillissement et les défaillances de la mémoire, avérées ou redoutées (peut-on oublier son propre visage ?) — et le politique — la crise grecque, ses ravages, ses victimes et ses responsables. Tout pour composer un livre tout ensemble méditatif et pugnace, mutin et mélancolique, tendre et navré, infiniment vivant quoique drapé d'ombre. — Na.C

 

Ed. du Seuil 356 p., 21 €.

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