Camille Jourdy a un don très rare. Celui de traiter du quotidien, de s’emparer du réel, sans pour autant le rendre banal. Avec elle, les trains de banlieue, les courses du week-end, une balade au bord du canal, les conversations de bureau, la litanie des petits riens qui font notre ordinaire prennent soudain un relief inattendu. Rien de fantastique là-dessous, ni de spectaculaire, juste une façon de regarder le monde comme une comédie italienne, de voir les couleurs sous la grisaille, les belles personnes derrière les yeux cernés et l’embonpoint. Dans son nouvel album, Juliette, la trentaine célibataire, hypocondriaque et un brin dépressive, retourne habiter chez son père. Dans la ville de province où elle a grandi vivent aussi sa soeur aînée, Marylou, sa mère, sa grand-mère et toute une foule de personnages qui vont croiser son chemin. Il y a aussi Polux, un quadra qui boit trop, écrit des lettres d’amour anonymes et recueille les canetons en détresse… Dans ce petit monde, il est difficile de s’aimer, les esprits s’échauffent aisément et les repas de famille tournent aux joutes verbales, mais ici, heureusement, la farce est reine et le pathos n’a pas de prise. Comme si, sur la planète Jourdy, l’atmosphère et la gravité étaient différentes de la nôtre…
Convertie à la bande dessinée, l’illustratrice a gardé le goût du trait simple et des couleurs pastel. Si ses personnages aux contours fins (on pense souvent à Martin Veyron) bougent peu, ils occupent pourtant tout l’espace. Chaque geste, chaque regard est scruté, capté et fait l’objet d’un micro-tableau ; des centaines de vignettes qui, mises bout à bout, donnent l’illusion d’un film. Pas étonnant que ces histoires pour (grands) enfants inspirent le cinéma : Rosalie Blum, l’adaptation d’un de ses premiers albums, sera bientôt à l’affiche. — Stéphane Jarno
Ed. Actes Sud BD, 240 p., 26 €.
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