Jules Ferry, La liberté et la tradition

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Jules Ferry, La liberté et la tradition

Un peu plus de cent pages pour mieux comprendre un homme, sa « cohérence politique », mais aussi pour évaluer l’icône républicaine Jules Ferry (1832-1893) à l’aune de son époque : voilà ce que vient de réussir Mona Ozouf (1) , dans ce petit opus lumineux, qui se lit moins comme une biographie que comme un essai critique. Personnage aujourd’hui statufié, Jules Ferry fut aussi, de son temps, parmi les plus haïs. Homme politique réputé pour les ruptures qu’il instaura dans la société française, il fut également partisan des compromis.

Suivre Jules Ferry, c’est donc plonger dans l’histoire tumultueuse d’un pays meurtri par la défaite et l’amputation de son territoire à la suite de la guerre de 1870. Dans l’histoire aussi d’un régime républicain encore bien fragile, qui dut affronter la Commune de Paris, en 1871, puis la crise boulangiste, à la fin des années 1880. Celle encore d’un récit national qui hésitait à envisager la Révolution française sans la Terreur de 1793, la Révolution de 1848 sans le IIe Empire qui allait lui succéder. « Faire » la France politique, pour Jules Ferry, supposait donc qu’on ne voulût pas détricoter l’Histoire, mais que l’on comprît de quoi elle était composée, ses crises comme ses continuités. « La fidélité à l’héritage est ce qui vient, chez cet athée déterminé, combler le vide spirituel des temps démocratiques », écrit Mona Ozouf.

Surgit, en évoquant Ferry, ministre de l’Instruction publique en 1879, la fameuse trinité scolaire : gratuite, obligatoire et laïque. Là encore, Mona Ozouf en précise les enjeux. L’unité d’un pays devait passer, pour Ferry, par une éducation collective, susceptible sinon d’éradiquer, du moins d’atténuer les différences sociales, la « connaissance » apparaissant comme la vertu essentielle que le gouvernement devait instituer, y compris pour les jeunes filles — ce qui n’allait pas de soi pour nombre de ses contemporains, toutes appartenances politiques confondues — qui pouvaient même, selon lui, s’emparer de L’Imitation de Jésus-Christ pour apprendre à lire…

Ferry colonialiste ? Il le fut, mais gare à ne pas commettre d’anachronisme dans l’emploi de cet adjectif. La France de son temps était cadenassée, humiliée et amputée de ses territoires depuis la guerre de 1870. Il fallait, pensait-il, ne pas se bercer de l’illusion d’une « revanche », mais étendre plutôt la nation au-delà des mers, pour y trouver des débouchés économiques comme pour y exporter l’esprit des Lumières ; Ferry étant favorable — le savait-on ? — à la représentation indigène dans les mairies algériennes comme à l’enseignement d’une Histoire qui n’évacue pas le passé algérien au profit du mythe gaulois. En suivant le Vosgien Ferry, Mona Ozouf précise, au fond, ce qui fut un art de gouverner. — Gilles Heuré

 

(1) Prix de la BNF 2014 pour l’ensemble de son oeuvre.

 

Ed. Gallimard, coll. L’Esprit de la cité 118 p., 12 €.

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