Jean Jaurès

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Jean Jaurès

Pourquoi un homme politique, qui ne fut jamais ni chef d’Etat ni ministre, qui ne participa à aucun gouvernement serait-il une « énigme » ? Comment cet homme politique, à la fois historien, philosophe et critique littéraire, a-t-il à ce point marqué son époque et pourquoi est-il encore si souvent invoqué comme référence indépassable ? Le projet de Gilles Candar et Vincent ­Duclert est bien d’expliquer comment la légende Jaurès (1859-1914) s’est bâtie sur un parcours intellectuel et politique qui a embrassé l’un des tournants majeurs de l’histoire de la France, celui qui va des deux dernières décennies du XIXe siècle au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Cette biographie à quatre mains est donc la synthèse scientifique qui manquait dans la bibliographie du leader socialiste, reprenant tous les travaux réalisés et évaluant leur pertinence pour, au besoin, modifier le schéma trop ­hagiographique d’un homme qui fit couler tant d’encre. Son autre mérite est de rappeler que cette icône du ­socialisme historique fut d’abord un hom­me dont l’itinéraire politique et intellectuel évolua ; mais sans contredire jamais son attachement à la République, à une époque, au seuil des années 1880, où le régime politique venait juste de se stabiliser.

C’est progressivement que ce professeur normalien et agrégé, à Albi puis à Toulouse, ce journaliste de La Dépêche et de L’Humanité, qu’il crée en 1904, ce député du Tarn, auquel il resta fidèle, élu, battu puis réélu (1885-1889, 1893-1898, puis de 1902 à sa mort, en 1914), glisse d’un républicanisme modéré vers le socialisme. Jean Jaurès est viscéralement républicain car la IIIe République, qui est finalement sortie gagnante des longues luttes qui l’ont opposée à l’empire ou à la monar­chie, garantit une liberté politique sans laquelle nul progrès ne peut être espéré. Mais il réalise que cette République politique délaisse cruellement la question sociale : « Le mouvement des sociétés européennes, depuis bientôt un siècle, peut se résumer ainsi : abaissement continu du prolétariat, écrasement continu de la classe moyenne par la classe capitaliste », écrit-il en 1889. Socialiste donc, patiemment mais résolument.

A la fin du XIXe siècle, le socialisme restait une nébuleuse de petits partis vaguement inspirée par une doctrine marxiste aux sentences mal assimilées. L’effort de Jaurès consista à sortir le socialisme d’une « aspiration vague » et d’une « formule vide » pour convaincre qu’il s’inscrivait légitimement dans la « tradition historique de la démocratie ».

Tout au long de ces quelque six cents pages, Jaurès est sur tous les fronts, étudiant les questions relatives à l’armée, la religion, les réformes sociales. Il parvient à maintenir l’unité de la SFIO, créée en 1905, en évitant que le lien entre les syndicats et les ­différentes mouvances socialistes soit rompu par des querelles stériles. D’autant que le socialisme multiforme, mais qui traduisait la réalité sociale du pays, devenait alors la cible des gouvernements républicains qui envoyaient l’armée pour mettre fin aux grèves. Si Jaurès est bien un « continent », comme le disait l’historienne Madeleine Rebérioux, il n’est pas un bloc : il devient dreyfusard et anticolonialiste sur le tard, déploie parfois une rhétorique hésitante et sinueuse entre révolution et réforme. Mais il reste inébranlable sur plusieurs points : internationaliste, il soutient aussi que la patrie, construction de tous, ne doit pas être laissée à la seule droite nationaliste et doit être défendue si elle est attaquée.

Jaurès fut assassiné par le nationaliste Raoul Villain – lequel fut acquitté en 1919 ! – le 31 juillet 1914, et la question s’est posée dès le lendemain de sa mort : pacifique, mais non pacifiste, qu’aurait fait et dit Jaurès pendant la Grande Guerre, lui qui n’avait cessé d’alerter l’opinion sur les dangers des tensions internationales et avait pressenti le carnage ? Les deux derniers chapitres abordent le parcours politique posthume de Jaurès, montrant comment les uns voulurent poursuivre son exemple, tandis que d’autres, fraîchement bolcheviques, exécraient l’incarnation d’un « vieux socialisme ­fourbu ». Il fut encore abusivement récu­­­péré par Guy Mollet en 1956. Et l’on ne saurait oublier comment Jaurès se retrouva incorporé dans les récentes campagnes présidentielles…

Candar et Duclert montrent parfois – trop peu ? – un Jaurès intime, visiteur de musées, conduit en automobile par Octave Mirbeau, lisant avec émotion une lettre de sa femme à Saint-Jean-de-Luz en 1911, louant le pays « enchanté » qu’est le Portugal en arrivant à Lisbonne pour s’embarquer vers l’Amérique du Sud… Mais l’essentiel n’est pas là. Le Jaurès qui longe les berges de la Garonne (dans la grande fresque du peintre Henri Martin au Capitole de Toulouse) a encore des choses à dire. Au-delà même de la mémoire de la gauche, cet homme sans système, adepte d’une philosophie politique trempée à l’épreuve des réalités, a fait tonner des évidences dont l’écho devrait continuer d’inspirer, plus de cent ans après…

Tous aux manifs avec Jaurès !
A l’occasion des 100 ans de sa mort, 2014 rendra hommage à Jaurès en plusieurs manifestations. Une grande exposition se tiendra aux Archives nationales, à l’hôtel de Soubise, à Paris, du 5 mars au 2 juin, avec conférences et journées d’études. En avril sera diffusé sur Arte le documentaire Jean Jaurès, vu d’ici, de Bernard George et Jean-Noël Jeanneney. Par ailleurs, Jean-Claude Drouot, qui avait magnifiquement incarné Jaurès dans le spectacle La Valise de Jaurès, créé en 2009, à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance du socialiste, devrait poursuivre l’aventure avec Jean Jaurès, une voix, une parole, en représentation partout en France tout au long de l’année. Enfin, les éditions Fayard, à l’initiative de la Société d’études jaurésiennes, poursuivront l’édition des oeuvres de Jaurès, dont huit tomes sont déjà parus.

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