Je ne me souviens pas

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Je ne me souviens pas

Avoir de la mémoire ou pas. Il y a ceux qui se souviennent et ceux qui ne se souviennent pas. Ceux, aussi, dont la manière de ne pas se souvenir convoque plus fortement encore le souvenir. A travers son absence même, qu’elle soit désirée ou non. Mathieu Lindon semble de ceux-là, qui nous fait revisiter à travers trous et manques sa vie d’intellectuel pas forcément exemplaire ni engagé, pas toujours au mieux avec les choses pratiques, techniques, physiques.

Avec une mélancolie doucement résignée, il rassemble ici des morceaux explosés, fugaces, dont il aimerait ­savoir à quelle sorte d’existence et d’individu ils appartiennent. Quel est donc cet être dont il garde si peu de traces, dont la vie a glissé parfois sans qu’il lui en reste d’image ? Existe-t-il même, ce Mathieu Lindon qui a filé entre les années, les amitiés et les fièvres ? « Je ne me souviens pas de mon âge, je crois que je peux être amant avec n’importe qui. Je ne me souviens pas que je vais mourir et mon sexe sans doute avant moi… » A 60 ans, en courts fragments pleins de matières et de chair — mais pas si loin pourtant des Essais de Montaigne ou des Pensées de Pascal —, l’écrivain s’interroge avec une intensité, une humilité, une générosité qui stimulent les nôtres, nous renvoient à nos expériences du passé et du temps. Ceux de sa génération de pensée et de vie, hommes ou femmes, s’y reconnaîtront étrangement. Ils penseront, bien sûr, au Je me souviens de Georges Perec (1978). Sauf que les antimémoires de Lindon, qui y font implicitement référence, couvrent toute son existence à lui, sans référence à son époque, alors que Perec dressait surtout un microportrait de la France de sa jeunesse, de l’après-guerre jusqu’aux années 1960…

Lindon n’y engage que lui-même, ses lâchetés, ses égoïsmes, ses maladresses. Et c’est pour ça, aussi, qu’émeut comme un frère cet antihéros si proche et toujours si pudique dans ses oublis volontaires. La seule chose dont il se souvienne et la dernière phrase du beau livre ? « Les voix des chers disparus mais je ne les entends plus. » Vraiment ? — Fabienne Pascaud

 

Ed. P.O.L, 160 p., 14,90 €.

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