Il faut beaucoup aimer les hommes

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Il faut beaucoup aimer les hommes

Elle aime depasser les limites, faire exploser les tabous. Depuis son premier succès, Truismes, en 1996, Marie Darrieussecq est frondeuse, provocante, excessive. Qu’elle embrasse le sexe ou la mort, l’enfance ou l’absence, la solitude et le silence. Avec ses phrases piquantes comme le feu, et cette énergie, cette radicalité parfois proches du fantastique. La quarantaine venant, la pourfendeuse de littérature se cogne aujourd’hui à la passion, au temps soudain désarticulé de la passion, à l’attente de l’autre, à l’obsession de cette attente, à l’horreur et au vide de l’absolu désir. Et c’est son plus beau roman, le plus brûlant, le plus poignant. Avec des accents raciniens, proustiens, durassiens à la fois. Pas mystiques, plutôt sauvagement matérialistes. Le titre de ce treizième livre, Il faut beaucoup aimer les hommes, est d’ailleurs inspiré de la sublime et triviale amoureuse que fut Marguerite Duras : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter. »

On y retrouve Solange, l’adolescente basque (comme Darrieussecq) de Clèves (le précédent roman). A la trentaine, elle est la vedette frenchie de Hollywood, frayant avec Steven (Soderbergh), George (Clooney), quand elle ne tourne pas avec Matt (Damon). Lors d’une soirée chez George, justement, elle est électrisée par un acteur noir à l’allure mélancolique et altière. D’origine camerounaise, Kouhouesso n’est en Amérique qu’un brillant second rôle, mais rêve de réaliser Au coeur des ténèbres, de Conrad, en Afrique. Il finira par en trouver les moyens, comme il finira par se laisser aimer épisodiquement par Solange. Entre deux éclats contre le racisme ambiant et sa difficulté à trouver ses racines, à comprendre ce que signifie être africain. Histoire d’amour choquante entre une Blanche et un Noir au royaume de l’image et de l’apparence ? Racontant Hollywood, puis le tournage — façon Apocalypse now —, Marie Darrieussecq se joue du roman à clé, mêle fiction et réalité. La fiction domine pourtant. Jusqu’à devenir une espèce de poème suffocant. Ou de tragédie classique. Découpée en cinq actes, et autant de chapitres, telles des scènes, Il faut beaucoup aimer les hommes dépasse les clichés bien-pensants sur l’amour mixte. L’angoisse de blesser l’homme qu’on aime y est juste démultipliée encore.

C’est cette angoisse du masculin et ce désir du masculin, toujours si étranger pour une femme, qu’il soit noir ou blanc, qu’explore admirablement la romancière. L’altérité radicale renvoie alors à ce qu’être femme veut dire. Sans désespérance. Solange a déjà traversé trop de deuils, ne souffrant plus d’être mauvaise mère, passable comédienne. Elle se rêvait royale amante d’hollywoodienne légende. Mais on ne peut forcer personne à vous aimer. — Fabienne Pascaud

 

Ed. P.O.L 320 p., 18 €.

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