Il est avantageux d’avoir où aller

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Il est avantageux d’avoir où aller

D’autres vies que la sienne… à la sienne mêlées : depuis qu’il a dit adieu au roman, le geste littéraire d’Emmanuel Carrère, c’est toujours un peu cela – s’attacher à des fragments de réalité, à des individus et leurs histoires particulières, y confronter ou y confondre des éléments de sa propre vie. Son geste journalistique n’est pas si différent, et c’est cette cohérence même qui fait tout l’intérêt, toute la valeur de ce recueil passionnant où sont rassemblés une trentaine de textes, écrits par Carrère entre 1990 et 2015 et parus dans divers supports, journaux et revues.

Essentielle pour Carrère, la question morale qui se pose à celui qui, pour écrire, s’empare de la vie des autres est ici récurrente. Parfois centrale, lorsqu’il évoque le rôle joué par De sang-froid, de Capote, dans la genèse de L’Adversaire (« Capote, Romand et moi »), ou quand il analyse l’ouvrage Le Journaliste et l’Assassin, de Janet Malcolm. Parfois sous-jacente, mais néanmoins essentielle, par exemple lorsqu’il s’attache au travail de la jeune photographe américaine Darcy Padilla (dans le sobre et poignant « La vie de Julie ») ou rend compte de celui de l’historien Orlando Figes, spécialiste de l’Union soviétique (« Les Chuchoteurs, d’Orlando Figes »).

Bien entendu, dans ces pages, on le croise à plusieurs reprises au fin fond de la Russie post-soviétique hautement décadente, mais aussi, notamment, dans les couloirs a priori plus policés d’un sommet de Davos, passant par le Sri Lanka, l’Etat de New York, où il part à la rencontre de George Cockcroft, alias Luke Rhinehart, l’auteur du mythique L’Homme-dé, ou encore dans un bar parisien, où il plante magistralement une interview avec Catherine Deneuve…

Par-delà la variété des sujets, par-delà l’hétérogénéité des climats et des tons que ces motifs imposent existe pourtant une unité fondamentale, qui tient à la présence même de Carrère dans ces textes – comme il est présent, omniprésent dans ses livres, par le biais de l’autobiographie, mais tout autant par son écriture précise et efficiente, la lucidité de son regard souvent teinté d’ironie et d’autodérision, l’attachement à la vérité qui est sien, la dimension spéculative vers laquelle tendent ses pensées, et toujours sa curiosité pour l’autre – « je me considère dans ma partie comme une sorte de portraitiste ». — Na.C.

 

3T Il est avantageux d’avoir où aller, d’Emmanuel Carrère, éd. P.O.L, 550 p., 22,90 EUR.

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