Histoire de ma vie. Volume 1

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Histoire de ma vie. Volume 1

Dix ans avant de se lancer dans la rédaction d’Histoire de ma vie, ses Mémoires — qu’il entreprendra en 1790, depuis sa retraite chagrine de Dux, en Bohême —, Giacomo Casanova (1725-1798), le Vénitien, notait ces réflexions, à propos de la langue française dans laquelle, déjà, il avait choisi d’écrire : « La française n’étant point ma langue, je n’ai nulle prétention. Et à tort et à travers, je couche sur le papier tout ce que le ciel fait sortir de ma plume […]. J’enfante des phrases à l’italienne, ou pour voir quelle figure elles font, ou pour en faire naître la mode […]. Si les écrivains modernes de ce pays sont persuadés qu’une pensée habillée à la française devient plus brillante, et embellit une dissertation italienne, pourquoi, à mon tour, ne pourrais-je croire qu’un peu de construction italienne pourrait donner un beau vernis à un discours français ? Rameau, fameux maître de chapelle, fit pleurer de désespoir les lullistes, lorsqu’il mêla des morceaux italiens à la mélodie française. Il triompha. » Casanova, lui, mit pourtant quelque temps à triompher. Près de deux siècles, rien de moins. « Longtemps on a […] voulu que Casanova fût un personnage et non un écrivain », résume le grand dix-huitiémiste Michel Delon (1.) Méjugement dont on ne saurait dire si l’histoire de la publication des Mémoires de Casanova est l’origine ou le symptôme. A sa mort, le 4 juin 1798, le manuscrit inachevé de près de quatre mille pages fut légué, selon le souhait de l’écrivain, à son neveu, pour demeurer longtemps dans les archives de la famille. Avant d’être vendu, en 1820, à l’éditeur allemand Brockhaus, qui en fit paraître une première édition en allemand (1822-1828), abrégée et expurgée. Texte qui, retraduit en français, subissant au passage de nouveaux amendements visant à en lisser le style, nettoyé des italianismes, et la licence morale, servira désormais de matrice aux nombreuses éditions postérieures — notamment à la précédente édition de Casanova en Pléiade, à la fin des années 1950. Il a fallu attendre les années 1960 pour que paraisse le texte original authentique, dans une composition encore quelque peu remaniée, la nouvelle publication en Pléiade, qui commence aujourd’hui, constituant la première édition critique assise sur le manuscrit autographe de Casanova — racheté il y a trois ans par la Bibliothèque nationale de France aux descendants de l’éditeur Brockhaus.

« J’ai écrit mon histoire, et personne ne peut y trouver à redire ; mais suis-je sage la donnant au public que je ne connais qu’à son grand désavantage ? Non. Je sais que je fais une folie ; mais ayant besoin de m’occuper, et de rire, pourquoi m’abstiendrais-je de la faire ? […] Dans cette année 1797, à l’âge de soixante et douze ans, où je peux me dire vixi [« j’ai vécu », NDLR], quoique je respire encore, je ne saurais me procurer un amusement plus agréable que celui de m’entretenir de mes propres affaires, et de donner un noble sujet de rire à la bonne compagnie qui m’écoute, qui m’a toujours donné des marques d’amitié, et que j’ai toujours fréquentée », avertit en préface à l’Histoire de ma vie celui qui, quelques pages plus tard, ajoute, en guise d’autoportrait : « Cultiver les plaisirs de mes sens fut dans toute ma vie ma principale affaire ; je n’en ai jamais eu de plus importante. Me sentant né pour le sexe différent du mien, je l’ai toujours aimé, et je m’en suis fait aimer autant que j’ai pu. J’ai aussi aimé la bon­ne table avec transport, et passionnément tous les objets faits pour exciter la curiosité. » C’est cette curiosité, cet élan vital qui rendent précieux, précieusement vivant ce grand récit aventureux de la vie d’un homme guidé par la certitude que « les vraies vertus n’étant qu’habitudes […], les vrais vertueux sont les heureux qui les exercent sans se donner la moindre peine. Ces gens-là n’ont point d’idée de l’intolérance. C’est pour eux que j’ai écrit. »

Pour, aussi, remonter le temps, revivre son odyssée personnelle par le moyen de la plume courant sur le papier, retraçant avec une précision délectable, un luxe inouï de détails les péripéties et les mille rencontres qu’occasionna cette existence fluide, mobile. Casanova, l’homme vieilli, mélancolique, désormais réduit à « ne plus pouvoir jouir que par réminiscence », met en scène le libertin aux quelque cent vingt conquêtes féminines : un aventurier amoral mais dénué de vrai cynisme, amoureux de l’amour et du bonheur terrestre — « Don Juan conquiert, Casanova est conquis », écrit Michel Delon —, mais aussi de la conversation, de la philosophie, des sciences, de la musique, de la poésie. Un homme pressé, un jouisseur, un roturier devenu aristocrate de l’existence, un héros chevaleresque d’Ancien Régime, amoureux du mouvement lui-même, et qui, de Venise à Versailles, passant par Naples, Corfou ou Saint-Pétersbourg, parcourut l’Europe du xviiie siècle, ses cours royales, ses tripots et ses bordels, en quête d’argent, de plaisirs, de visages adorables — duchesses, servantes ou courtisanes, qu’importe, pourvu qu’il y ait des « nuits opulentes en délices ». Payant, à l’occasion, le prix fort pour cet hédonisme — notamment par l’enfermement à la prison des Plombs, à Venise, en 1755, pour outrage à la religion et aux bonnes mœurs. Dans Casanova l’admirable (éd. Plon), Philippe Sollers écrit : « Il ne se donne pas forcément le beau rôle, il n’enjolive pas, il décrit avec précision, il est rapide. Il est aussi amusant à lire que le Don Quichotte de Cervantès. Bref, son Histoire est un chef-d’oeuvre, le tracé de quelqu’un qui avance dans sa vérité. Il a eu un corps exceptionnel, il l’a suivi, écouté, dépensé, pensé. C’est cela, au fond, que l’éternel esprit dévot lui reproche. » Histoire de ma vie est bien ce livre incarné que loue Sollers. Le roman heureux d’un homme qui confiait : « J’aimais, j’étais aimé, je me portais bien, j’avais beaucoup d’argent, et je le dépensais ; j’étais heureux, et je me le disais, riant des sots moralistes qui disent qu’il n’y a pas de véritable bonheur sur la terre. C’est le mot sur la terre qui me fait rire comme si on pouvait aller le chercher ailleurs. »

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