Gil

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Gil

Le court premier chapitre installe une magie surnaturelle, sur un bord de route où chemine un homme, aux aguets. L’écriture rythmée, vibratoire, sensible aux étrangetés de la campagne et du macadam, met le lecteur dans le même état d’alerte. La conviction de tenir une romancière à part, capable d’immobiliser l’esprit vagabond, s’impose en deux pages. La suite ne sera pas de la même teneur. Non que Célia Houdart ne tienne pas ses promesses. Au contraire. Son entrée en matière est une ouverture au sens musical du terme, un murmure d’accueil qui plonge dans un état second, une incursion dans l’univers intérieur plein de chromatismes et de dissonances d’un jeune pianiste en proie au doute. C’est Gil, garçon timide, introverti, différent. Plus ancrés dans le réel, mais tout aussi saisissants, les chapitres suivants arpenteront sa carrière de musicien, depuis l’enfance jusqu’à la quarantaine.

Une ascension pleine de bifurcations, de reconversions, d’abandons et de nouveaux départs, que Célia Houdart raconte avec une connaissance visible du monde de la musique et un grand sens du détail apparemment annexe, qui en dit long sur l’acuité de Gil. La tache de vin sur la peau d’un vieux professeur du conservatoire, les bouchons de cire rose enfoncés dans les oreilles d’un colocataire, l’eau de cuisson trouble des pâtes au sarrasin dans un restaurant japonais, rien n’échappe au regard de ce héros qui fait feu de tout bois, pour se consumer de l’intérieur jusqu’à disparaître dans la célébrité.

De la gloire de Gil, le roman donne à sentir la fragilité permanente, en même temps que la sûreté : aucun autre parcours n’était possible pour cet être hors du commun, aussi transparent qu’incandescent. Loin de lui, dans un angle mort sur lequel Célia Houdart braque des feux orangés, chaleureux, vivotent ses parents. La beauté de ce roman vient aussi de son attention à ces êtres de silence, reclus dans une solitude presque beckettienne, essentielle et féerique. Un père qui passe des heures à nettoyer la bougie de sa tondeuse, étouffée par sa voracité végétale. Une mère qui collectionne les papillons dans un hospice, et se maquille parfois les yeux avec la poudre de leurs ailes. Des géniteurs délicats, dépourvus de fierté, qui ont guidé leur fils vers la liberté. — Marine Landrot

 

Ed. P.O.L 236 p., 12,50 €.

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