Gare d’Osnabrück à Jérusalem

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Gare d’Osnabrück à Jérusalem

Qui aime à se plonger dans les intelligences à vif, les intuitions archaïques, et les clins d’oeil toujours recommencés à l’inconscient, à la littérature, aux mystères des langues aussi — l’allemand, l’anglais, le français — ne saurait être indifférent au dernier ouvrage d’Hélène Cixous. Ni échapper aux charmes de son écriture lancinante et ludique, cérébrale et charnelle à la fois, nourrie de toutes les écritures aussi — théâtrales, bibliques, philosophiques ou poétiques. Rien d’excessif pourtant dans cette nouvelle exploration des ­racines allemandes de sa famille juive d’Osnabrück, petite ville prussienne d’où nombre des siens partirent pour les camps. Rien de mièvre dans sa relation passionnelle à la mère adorée, cette Eve extravagante et puissante, disparue à 103 ans, en 2013. Hélène Cixous avoue être restée malade de la mort d’Eve et heureuse d’être hantée par elle à jamais. Après Or, en 1997, après ce livre consacré au père médecin mort à 39 ans à Oran, où il était né et avait rencontré et épousé celle qui fuyait Osnabrück et l’extermination, Hélène Cixous n’a jamais cessé d’écrire sur sa mère. Et c’est leur histoire à toutes deux qu’elle creuse plus profond encore, à travers ce voyage éperdu entrepris quelques mois après la mort de l’aimée.

Telle une héroïne de Marguerite Duras, elle arpente fiévreusement la ville entre absence et présence, quête sa mère à travers sa parentèle oubliée et mystérieuse. Cet oncle Andréas par exemple, parti dans les années 1930 rejoindre sa fille en Palestine pour échapper aux nazis, et odieusement chassé par sa fille même. Cixous fouille les cruautés de ce monde disparu de l’un et l’autre bord. Son livre est un ­hématome, dit-elle, le résultat d’une collusion intime, entre grande et petite histoire, barbarie du politique et horreur du privé.

Avec la fascination de l’Allemagne toujours, cette terre mère assassine qui a façonné l’écrivain qu’elle est et dont elle jouit infiniment de la langue, confie-t-elle dans un bel entretien épistolaire avec Cécile Wajsbrot (1) . Gare d’Osnabrück à Jérusalem se lit comme une mélopée. Cixous construit aux mots une étonnante tour de Babel. « J’ai toujours su que j’étais destinée à vouloir comparer les rêves et la réalité afin de confondre la réalité, de lui faire avouer ses rêves ­cachés, et qu’elle dépendait de moi, de ma visite, de mes questions, pour sortir de son sommeil et se révéler. » L’écrivain est orgueilleuse. Mais provoque bien des émois dans cette odyssée familière qui casse les genres, les styles ; ardue, complexe et proche tout ensemble.— Fabienne Pascaud

 

(1) Une autobiographie allemande, par Hélène Cixous et Cécile Wajsbrot, éd. Christian Bourgois, 108 p., 12 €.

 

Ed. Galilée, 166 p, 24 €.

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