Fureur divine. Une histoire du génie

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Fureur divine. Une histoire du génie

« Découvrez votre génie intérieur » ; « Réveillez le génie qui sommeille en vous » ; « Développer le génie de votre enfant », etc. Le génie est aujourd’hui galvaudé, comparé à une qualité comme une autre ou à un vulgaire mode de vie. Parce qu’il est partout, il n’est en fait plus nulle part. Il a été dilué dans les comptes du QI ou absorbé par une « culture de la célébrité qui fait peu de différence entre un génie de la mode, des affaires ou du football », constate l’historien américain Darrin M. McMahon dans son histoire du génie, Fureur divine. Pour vous rafraîchir la mémoire, imaginez quelques icônes, comme nous y invite l’auteur : un buste de Beethoven posé sur un Steinway ; la silhouette de Jackson Pollock dansant au-dessus d’une toile ; une photo d’Einstein tirant la langue. Celui-ci pourrait bien être le dernier génie en date… Relique moderne, son cerveau, objet d’une des Mythologies de Roland Barthes, fut découpé en deux cent quarante morceaux par Thomas Harvey, médecin légiste de l’hôpital de Princeton. Tout au long du xixe siècle, le génie avait été scruté par la science qui s’était mis en tête d’en percer les mystères et d’en localiser le siège dans la forme du visage (Lavater) ou dans celle du crâne et du cerveau (Gall). D’où une série macabre de vols de crânes « géniaux » ; tel cet homme qui soudoya un fossoyeur pour se procurer le crâne du compositeur Joseph Haydn, qu’il put « adorer calmement chez lui, sous vitre, jusqu’à sa propre mort » !

L’Antiquité et la période classique voyaient dans le génie une manifes­tation du divin, d’un au-delà, d’une transcendance. A partir du xviiie siècle, la modernité en fait un principe autonome, le lieu d’une force intérieure, d’une créativité et d’une originalité hors du commun. Fi des imitateurs ! « L’homme de génie […] a une façon de voir, de sentir, de penser qui lui est propre », note Diderot, quand Wordsworth constate : « Le génie est l’introduction d’un nouvel élément dans l’univers intellectuel. » Quand Dieu se retire, c’est donc l’homme de génie qui devient à son tour créateur, à même d’enchanter un monde en proie au désenchantement. Le génie, cette « force mystérieuse, qui confère à ceux et à celles qui en sont pourvus des aptitudes surhumaines et des pouvoirs quasi divins », a souvent été situé à la frontière de la folie ou de la maladie. Tel le « démon » de Socrate, « phénomène extraordinaire », « ce je-nesais-quoi de divin et de démoniaque », comme l’écrit Platon dans l’Apologie de Socrate, dont la force dangereuse voire révolutionnaire a causé la condamnation à mort du philosophe.

Quant au génie du peuple incarné dans la personne du chef, il réveille les pires cauchemars totalitaires. Pouvoirs de création et de destruction ne sont en effet parfois pas si éloignés… En Allemagne, comme l’analyse longuement l’historien, la religion du génie a prospéré après la Première Guerre mondiale, pour « exploser en une apothéose terrifiante dans le culte du génie des nazis ». « La répugnance pour les excès du génie mauvais, au xxe siècle, sous sa forme fasciste et sous sa forme communiste, a donc joué un rôle crucial dans le rejet général du génie », synthétise Darrin M. McMahon. Frappés ou non par le génie, suivons tous au final les conseils de Jean-Jacques Rousseau : « Ne cherche point, jeune artiste, ce que c’est que le génie. En as-tu, tu le sens en toi-même. N’en as-tu pas, tu ne le connaîtras jamais. » — Juliette Cerf

 

Divine Fury. A history of genius, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Jaquet, éd. Fayard, coll. L’épreuve de l’histoire, 384 p., 24 €.

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