Petites cases qui font gamberger… En onze lettres. Hmmm, facile : mots croisés. Il y a à peine plus d’un siècle, le 21 décembre 1913 exactement, naissait à New York ce divertissement devenu une passion mondiale. Derrière cette invention révolutionnaire, Arthur Wynne, un Anglais émigré aux Etats-Unis, chargé d’imaginer des jeux pour le supplément dominical du New York World, et, quelques années plus tard, celle qui deviendra la grande prêtresse du casse-tête jusqu’à sa disparition, en 1984, Margaret Farrar. Paolo Bacilieri aurait pu se contenter de raconter cette histoire aussi méconnue que passionnante : les riches heures et les mille anecdotes du « cross word puzzle », ses stars, ses victimes (il y en eut !), ou encore la façon dont les mouvements littéraires et les cultures nationales s’en emparèrent. Mais l’auteur italien a préféré ouvrir la grille et laisser s’échapper les définitions… Dans cet album gigogne, récits et personnages se croisent, se bloquent et s’entrechoquent comme sur un gigantesque damier. Autour du professore Pippo Quester, un érudit fortement inspiré d’Umberto Eco, le dessinateur fait évoluer Zeno Porno, son double de papier, un auteur un brin largué, Mafalda, une étudiante portée sur les performances situationnistes, ainsi qu’une foule de personnages secondaires qui portent des avis définitifs sur l’art et sur la vie. Touffue, littéraire, pleine d’un charme foutraque, cette histoire conçue comme un patchwork alterne le limpide et l’abscons, le superflu et l’essentiel. Paolo Bacilieri brille surtout dans le trait et la mise en scène, qui explore toutes les possibilités offertes par le cruciverbisme. Compagnon de route de Milo Manara, plusieurs fois récompensé en Italie pour cet album dont il prépare déjà la suite, le Milanais est, en noir et blanc comme en couleur, un magnifique dessinateur. Les dix pages qui ouvrent Fun flirtent d’ailleurs avec le chef-d’oeuvre. — Stéphane Jarno
Traduit de l’italien par Silvina Pratt, éd. Ici Même, 144 p., 22 EUR.
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