Fraudeur

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Fraudeur

Voici un livre intimidant, comme peuvent l'être les gens les plus simples et les plus profonds, puits de science et de silence. Un livre qui bruisse d'une langue poétique tellement magnétique qu'on est tenté de le lire à voix haute, comme sous emprise. Sous ce titre faussement racoleur se cache un aveu douloureux : on ne peut aujourd'hui goûter la suavité du monde qu'en douce, à condition de resquiller, de refuser d'aller toujours plus vite, toujours plus amnésique. « N'accumulons pas trop de matière », se dit l'auteur, en tête d'un des premiers chapitres sans numéro, chuchotés comme dans un demi-sommeil. La matière n'est pas accumulée, elle s'offre peu à peu, dans toute la variété que recèle la nature, arpentée par un garçon d'une quinzaine d'années, les sens aux aguets, l'été 1969.

Caméra sur l'épaule, Eugène Savitzkaya suit pas à pas la randonnée voluptueuse de cet adolescent aux joues glabres et aux os légers, qui n'est autre que lui-même. « Le temps coule et nous marchons par lentes foulées » : suspendu dans une éternité cacophonique, où le jars jargonne, l'enfant trompette et l'aigle glatit, le livre voyage au cœur des souvenirs intacts de l'auteur, remontant jusqu'à ceux de sa mère, dans une Russie où les prunelles se cueillaient prises dans le gel, avant de laisser l'astringence de leur amande se diffuser dans l'alcool. Saisis dans leur vibrionnante course contre la mort, les corps n'ont pas d'âge, ils défient la faune et la flore, semant un désordre cosmique où même les rognures d'ongles se prennent pour des croissants de lune. Joie de retrouver Eugène Savitzkaya, après plusieurs années d'absence, avec, en prime, un recueil de poèmes d'une grande sensualité, A la cyprine.

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