Frankie Addams – Le coeur est un chasseur solitaire – Reflets dans un oeil d’or – L’Horloge sans aiguilles – La Ballade du café triste

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Frankie Addams – Le coeur est un chasseur solitaire – Reflets dans un oeil d’or – L’Horloge sans aiguilles – La Ballade du café triste

C’est tout sauf un massif, tout sauf un continent. Une oeuvre mince, au contraire, circonscrite et singulière comme une province, qu’a laissée derrière elle Carson McCullers (1917-1967) : quatre romans — Le coeur est un chasseur solitaire (1940), Reflets dans un oeil d’or (1941), Frankie Addams (1946), L’Horloge sans aiguilles (1961) — aujourd’hui réédités, quelques nouvelles, une poignée de poèmes (1) . A quoi s’ajoutent des articles, des lettres, des ébauches autobiographiques, autant de fragments gravitant autour du noyau dur de ses fictions comme de précieux satellites, lacunaires et éclairants. Ecrivain du Sud, de l’enfance, de l’identité qui se cherche en vain, Carson McCullers a composé, en quelques livres, un saisissant et poignant théâtre au centre duquel elle a placé une tragédie intime et universelle : la solitude, l’incommunicabilité, le désespoir de n’être qu’un, de n’être que soi. Une blessure inguérissable qui lacère le coeur de ses personnages, à commencer par celui de Frankie Addams, l’adolescente héroïne éponyme de son troisième roman, exprimant le désarroi de n’appartenir à rien ni personne avec une simplicité enfantine et bouleversante : « Le terrible avec moi, c’est que pendant longtemps, je n’ai été qu’un Je. Tout le monde fait partie d’un Nous, sauf moi. Si on ne fait pas partie d’un Nous, on se sent vraiment trop seul. »

« Les voix venues de l’enfance sonnent plus juste », disait Carson McCullers. Elle était née Lula Carson Smith, à ­Colombus, en Géorgie — une ville minière où, « dans les rues, les visages portaient souvent l’empreinte désespérée de la faim et de la solitude », décrira-t-elle, et où « chaque après-midi, le monde avait l’air de mourir », lit-on dans Frankie Addams. Si elle quitta Colombus pour New York à 17 ans, elle y revint en fait, en pensée, dans chacun de ses ­romans. Tennessee Williams, qui fut son ami, soulignait dans sa postface à Reflets dans un oeil d’or l’importance de cet ancrage qui rattache McCullers à « l’école gothique » des écrivains du sud des Etats-Unis. Une famille de romanciers, emmenée par William Faulkner, et que fédère « un penchant avant-coureur pour des choses souvent qualifiées de morbides » qui n’est, poursuit Williams, que la manifestation de « l’intuition de l’horreur sous-jacente de l’expérience moderne ». Les personnages de McCullers, humble cohorte de maladroits, de solitaires, de marginaux, d’impuissants et d’infirmes, évoquent une version compatissante de l’humanité grotesque et sans grâce qu’a dépeinte, avec une férocité à la Bruegel, l’immense Flannery O’Connor qui fut sa contemporaine. Interrogée sur cet étrange casting, McCullers expliquait, pour sa part : « L’infirmité physique est le symbole de l’infirmité spirituelle […] : une incapacité qui interdit d’aimer ou de recevoir l’amour. »

Elle-même aima Reeves McCullers, l’épousa à 20 ans, prit son nom. Lui aussi se voulait écrivain — « son échec, en ce domaine, est l’une des blessures qui ont causé sa mort », a-t-elle écrit après le suicide de Reeves, à Paris, en 1953, qui la laissa orpheline, comme amputée d’une moitié d’elle-même. Elle avait alors 35 ans et des poussières, était physiquement disloquée par la maladie et avait composé déjà presque l’intégralité de son oeuvre — elle y ajouta néanmoins le troublant roman L’Horloge sans aiguilles, commencé en 1952, achevé neuf ans plus tard. Ecrire, malgré tout, puisque, confiait-elle, « que je sois bien portante ou malade, il faut que je sois en mesure d’écrire, car ma vie dépend presque entièrement de l’écriture ». Ecrire car lorsqu’elle ne le faisait pas, elle ressentait littéralement « un écrasement de l’âme où tout espoir a disparu ». — Nathalie Crom

 

(1) Parallèlement aux rééditions en grand format paraissent en poche le recueil de McCullers Le Coeur hypothéqué et l’excellente et pénétrante biographie Carson McCullers. Un coeur de jeune fille, de Josyane Savigneau, au Livre de poche, ainsi que Illuminations et nuits blanches chez 10-18.

 

Préfaces d’Arnaud Cathrine, Eva Ionesco, Nelly Kaprièlian et Véronique Ovaldé, éd. Stock, coll. La Cosmopolite, 160 à 600 p., de 19 € à 24 €.

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