Flaubert

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Flaubert

Après Victor Hugo et Mme de Staël, Michel Winock se confronte au grand Flaubert, autant dire au xixe siècle po­litique et littéraire. Madame Bovary, Salammbô, L’Education sentimentale, oeuvres prodigieuses, ont été écrites par un auteur qui, s’il a bénéficié des analyses de nombreux exégètes, notamment au xxe siècle, est une mine pour l’historien. C’est en cette qualité que Michel Winock visite, en plus de cinq cents pages lumineuses, l’ermite du Croisset.

Flaubert, un homme dans son siècle ? Assurément. Né en 1821, sous Louis XVIII, disparu sous la présidence de Jules Grévy, il traverse la longue période qui vit se succéder Restauration, Républiques, Empire, conflits internationaux et convulsions sociales. Alternance de suffrage universel et censitaire (masculin), urbanisation et révolution industrielle, soubresauts de la transition démocratique, émergence du prolétariat et enrichissement de la bourgeoisie, progression du socialisme : tout concourt à bouleverser les repères et les convictions politiques. Et les contradictions du Flaubert intime font écho à celles du xixe siècle. Adolescent, il dirige ses premières colères contre la bourgeoisie rouennaise, son sens de l’épargne et son moralisme hypocrite. Pessimiste, il le restera. Qu’un de ses amis épouse la carrière juridique, et Flaubert en trace rageusement l’itinéraire : magistrat, il deviendra bourgeois, et mari, il sera forcément « cocu ».

Les études de droit, justement, l’étudiant Gustave devait les suivre. Mais non : « Ecrire, oh ! écrire, c’est s’emparer du monde », rugit-il. S’il parcourt l’Orient pour y avaler « une ventrée de couleurs » pendant près de deux ans, l’aventurier Flaubert se réfugie surtout au Croisset où il vit avec sa mère, tisonnant ses romans, dévorant de la documentation, polissant ses phrases, et refusant Paris où il ne veut ni paraître ni intriguer pour se faire connaître. Son « Art » prévaut sur tout : amours ou carrière. Les premières sont sublimées avec Elisa quand il a 15 ans, espacées avec Louise Colet, fugaces ou tarifées avec quelques autres. Sa notoriété, qui divise les critiques, de Sainte-Beuve aux commères que sont les Goncourt, s’impose avec Madame Bovary en 1857 puis avec L’Education sentimentale, romans de son époque, celle qu’il vomit. Qu’y voit l’historien ? Un « anarchiste de droite », définition qui demande toutefois à être précisée : Flaubert fulmine contre la bêtise universelle mais vit en bourgeois, ignore la politique mais regarde les journées de 1848 en témoin curieux, se moque de la patrie mais assure que son « fusil est tout prêt » pour bouter le Prussien hors de France en 1870. Et si Flaubert se rassure de l’ordre revenu après la Commune, il lui répugne, comme en 1848, de voir combien la majorité se réjouit à bon compte d’une paix déshonorante. L’homme est bien de son siècle, fébrile et génial, angoissé et furieux. Si l’on ne craignait d’emprunter leurs superlatifs aux critiques du xixe, on clamerait volontiers que cette biographie de Flaubert par Michel Winock est superbe. — Gilles Heuré

 

Ed. Gallimard 538 p., 25 €.

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