Extra pure

Ajouter un commentaire

Extra pure

On n'aimerait pas être dans la tête de Roberto Saviano. Un crâne rempli de corps découpés et de cadavres suspendus sous des ponts, de martyrs torturés, de populations terrifiées. A côté, les tableaux de Jérôme Bosch ressemblent à une sympathique kermesse. D'autant qu'il n'y a pas de place pour l'imaginaire dans Extra pure, la nouvelle plongée de l'auteur de Gomorra dans le monde de la drogue. Cette fois, Saviano remonte les filières de la cocaïne – la coke –, qui s'est désormais répandue partout, des fêtes new-yorkaises aux cours de lycées parisiens, des banlieues italiennes aux cabines de chauffeurs routiers et aux boîtes de nuit du monde entier. Un tsunami blanc qui s'explique aisément : le monde ne va pas très bien, et quand le monde est à bout, cuit, stressé, de plus en plus de gens ont besoin de s'évader. Une ligne de coke, et tout est oublié. La cocaïne est ainsi devenue « une valeur refuge […], le bien qui ne craint ni l'épuisement des ressources ni l'inflation. De nombreux endroits du monde vivent sans hôpitaux, sans Internet ni eau courante. Mais pas sans coke ».

Avant que la feuille de coca ne finisse en poudre fine dans les narines du monde riche, il faut bien, cependant, que quelqu'un s'occupe de sa transformation, du transport et de la vente. Avec rigueur. Et férocité. Les cartels s'en chargent – hier les Colombiens, aujourd'hui les Mexicains, aidés des Calabrais. Ecrasant tout ce qui fait obstacle. S'entre-tuant à la mitrailleuse ou à la tronçonneuse. Et postant leurs vidéos de terreur sur Internet, en guise d'avertissement. Résultat : soixante-dix mille morts au Mexique, des milliers en Colombie – souvent des villageois pris en étau entre les rebelles des Farc et les paramilitaires chargés de les pourchasser, tous marchands de coke. Monstrueux et clownesques, les acteurs de ce drame défilent avec un luxe de détails qui hypnotise, et parfois révulse le lecteur : mariages, naissances, enterrements (nombreux), saisies (seulement 10 % de la production), trafic souterrain, aérien, et parfois même sous-marin… C'est toute l'architecture de la coke qui prend forme devant nos yeux, et sa cartographie méticuleuse. Mais Extra pure est aussi un livre confession : celle d'un homme – l'auteur — tellement obsédé par l'univers de la drogue qu'il lui a sacrifié sa vie, sa sécurité (il vit sous protection vingt-quatre heures sur vingt-quatre) et celle de sa famille. Cela en valait-il la peine ? Pas sûr. On n'aimerait pas être dans la tête de Saviano, mais on lui tire notre chapeau.

Commandez le livre Extra pure

Laisser une réponse