Expo 58

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Expo 58

Il serait audacieux d’y voir autre chose qu’une coïncidence, mais relevons néanmoins le phénomène : quelques semaines après Ian McEwan et son délectable Opération Sweet Tooth, roman d’espionnage sur fond d’Angleterre seventies (1) , et en attendant la traduction française du premier opus des nouvel­les aventures de James Bond, confiées par les ayants droit de Ian Fleming à William Boyd – Solo est à paraître le 6 mars, aux éditions du Seuil –, voici Jonathan Coe, qui s’empare du genre pour livrer sa version personnelle et romanesque du vol au-dessus d’un nid d’espions. Le roman s’intitule Expo 58, il est savoureux et imprégné de cette ambivalence, disons… atmosphérique, dans laquelle évolue, de livre en livre, le subtil Jonathan Coe : un climat tempéré, mélange de vraie drôlerie et de mélancolie non moins tangible – et de moins en moins incontestable au fil des années.

Où puise-t-elle, cette mélancolie qui sourd dans Expo 58, irriguant comme en sourdine cette pure histoire d’espions, que Coe situe durant les quelques mois que dura, en Belgique, « l’Expo­sition universelle et internationale de Bruxelles 1958 » – parodie d’entente cordiale entre les peuples, les nations du monde, dont le but affiché, illusoire faut-il le préciser, est de « contribuer à promouvoir l’unité du genre humain, dans le respect de la personne humaine » ? Tu parles… Eh bien, il se trouve pourtant qu’il y croit, à ce beau discours, le dénommé Thomas Foley, modeste fonctionnaire britannique en charge de la logistique du pavillon anglais, qui est au cœur de cette histoire. Et s’il lit Bons Baisers de Russie dans la chambre d’hôtel bruxelloise où il a pris pension, il ressemble, lui, davantage à un personnage de Graham Greene, tiraillé par les dilemmes moraux, qu’à un héros à la psychologie plus rudimentaire sorti de chez Fleming. Homme de bonne volonté si ce n’est vertueux, espion malgré lui, moins falot ou étriqué que peu doué pour le mensonge et les faux-semblants, manipulé par les uns, baladé par les autres. De bout en bout embarrassé de ses principes, tenté par le grand vent de l’aventure qui semble souffler autour de lui, l’inviter à toutes les audaces et à toutes les remises en cause, mais taraudé par la peur d’être déloyal, par le sentiment de la trahison – non pas vis-à-vis de son pays, mais à l’égard de son épouse Sylvia, demeurée en Angleterre tandis que lui flirte avec une jeune et jolie hôtesse d’accueil belge…

Le mensonge, l’illusion, la trahison, telles sont les règles du jeu dans cette sorte d’auberge espagnole que constitue l’assemblée de fonctionnaires internationaux et d’espions de tous poils réunis à Bruxelles le temps de l’expo. Immergé dans ce marigot, Thomas est en outre suivi comme son ombre par un duo croquignolet d’agents secrets, dont les dialogues constituent le principal ressort comique du roman : Wayne et Radford, sorte de Dupont et Dupond, en moins ballots, en plus rusés – pour lesquels Coe s’est directement inspiré du tandem cocasse que forment Charters et Caldicott dans Une femme disparaît, de Hitchcock, au point de donner pour patronymes à ces deux personnages de papier les noms des comédiens qui en interprétaient les rôles à l’écran. C’est une autre des lectures possibles de cette comédie dramatique au parfum de guerre froide : un hommage rendu par Jonathan Coe à un cinéaste qu’il chérit. Un manipulateur au génie pervers, à qui il ne déplaisait pas de jeter l’innocence en pâture au mal – ce que fait ici Jonathan Coe, à sa suite et à sa façon, ironique et doucement désenchantée.

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