Et ne reste que des cendres

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Et ne reste que des cendres

Elle a voulu, explique-t-elle, écrire sur le pouvoir et « la force destructive » dont il est porteur. Pour cela, la grande romancière turque Oya Baydar (née en 1940) a imaginé une héroïne qui n’est pas une projection romanesque d’elle-même, mais néanmoins, précise-t-elle, « une femme qui partage les engagements qui sont les miens, et qui vit des événements que j’ai vécus ». Cette femme, c’est Ülkü, dont l’existence, les combats et les défaites tissent la trame dense d’un roman dont la beauté grave tient en grande partie au fait qu’il parvient à s’attacher à quelques destins individuels — Ülkü, Arin dont elle fut amoureuse, Ömer qu’elle épousa… — tout en acquérant, au fil des pages, la dimension d’une fresque qui retrace quatre décennies de l’histoire collective tumultueuse de la Turquie moderne.

Dans cet ample tableau, Ülkü incarne la foi en un idéal — en l’occurrence, le communisme —, la fidélité à ses convictions, le don de soi. Tous attributs dont Arin Murat, son grand amour de jeunesse, est dépourvu — lui n’est que prudence et accommodements : « Arin Murat s’était le plus souvent trouvé dans les rangs de ceux qui projettent et proposent. A cette place-là, même si ton coeur se noircit, tes mains restent propres (…) Tu ne t’es pas sali, crois-tu ? » Entre les années 1960 et la toute fin du xxe siècle, entre Ankara, Berlin, Moscou, Paris…, la romancière circule avec une grande maîtrise, suivant les faits et gestes de ses personnages, et leur intimité enserrée dans un contexte politique oppressant, écrasant, meurtrier. Aujourd’hui qu’elle aborde la soixantaine, que reste-t-il à Ülkü de son passé de femme, de mère, de militante, si ce n’est, comme l’annonce le titre si mélancolique du roman, une poignée de cendres à offrir au vent ? — Nathalie Crom

 

Sicak külleri kaldi, traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy, éd. Phébus, 568 p., 25 €.

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