Esprit d’hiver

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Esprit d’hiver

Laura Kasischke a écrit Esprit d’hiver avant que Vladimir Poutine ne décide de faire interdire l’adoption d’enfants russes aux Etats-Unis. Et pourtant, ce chant d’amour asphyxié d’une Américaine du Midwest pour sa fille adoptive de 13 ans, née en Sibérie, sonne comme un plaidoyer pour l’abolition de cette loi punitive. Laura Kasischke n’a jamais mis les pieds en ex-URSS. Et pourtant, on jurerait qu’elle a vu de ses propres yeux les grossières chaussures à lacets des employées de l’orphelinat Pokrovka n.2, et avalé de ses propres poumons la fumée des usines sibériennes « où l’on fabriquait quelque chose que personne ne sut décrire ». Il y a beaucoup de pourtant, mais peu de hasards, chez Laura Kasischke, écrivain du trouble prémonitoire et de la solitude clairvoyante.

Deux ans après Les Revenants, saga lynchienne en milieu universitaire, où des étudiants férus de thanatologie pratiquaient de curieux bizutages sur leurs semblables, elle revient en avant-première (Esprit d’hiver ne devrait paraître aux Etats-Unis qu’à la fin de l’année) avec un roman intimiste et glaçant, cousu serré-serré de main de chirurgienne, dans la lumière blafarde de son éternel Michigan. Comme toutes les héroïnes de Laura Kasischke, Holly est une femme faussement popote, en communication avec les fantômes errant dans son espace cuisine ultra design. L’empêchement de ses convives, bloqués par la neige le soir de Noël, la laisse en huis clos avec sa fille, Tatiana, et une terrible invitée surprise : « quelque chose qui les avait suivies depuis la Russie ». Cette présence impalpable et suffocante ­s’infiltre dans les corps, les vêtements, les aliments, la nature, transformant le livre en poème macabre, magistralement traduit par Aurélie Tronchet — la première, peut-être, à réussir à mettre à nu les rouages de cette écriture si particulière, mélange de crudité morbide et de tranquillité somnolente.

Si les métaphores organiques de Laura Kasischke, faites de plumes, de sangs, d’ovaires, de cheveux, de cristallins émeuvent autant, c’est qu’elles disent toutes la difficulté d’écrire. Holly ne cesse de vouloir coucher sur le papier les sensations qui la contorsionnent de douleur, et toujours les mots se dérobent. Sans doute la romancière signe-t-elle là son livre le plus personnel, confidence sur la douleur de l’enfantement littéraire, source d’épouvante et de plénitude.

 

Les liaisons heureuses

Dans Esprit d’hiver (lire ci-dessus), Laura Kasischke sonde les entrailles d’une mère possessive et possédée par sa fille adoptive, qu’elle est allée chercher en Sibérie. Ce livre s’inscrit dans une longue lignée de romans sur les relations mère-fille, qui ne sont pas toujours des berceuses, loin de là. En voici cinq à revisiter.

La Femme gelée Annie Ernaux (éd. Folio, 4,40 €). Rien que pour cette étoile dans la nuit : la mère est femme de ménage, et brique jusqu’aux joues de sa fille avec la rosée de mai, recueillie à cinq heures du matin dans le jardin.

Osnabrück Hélène Cixous (éd. des Femmes, 15,75 €). Livre sur la perte de la mère, qui constitue la matrice de toute l’oeuvre d’Hélène Cixous, et qui a fini par devenir réalité, cet été. « Morte, qui sait si elle ne deviendrait pas immense et chair d’écritures », s’interroge-t-elle. Ses livres à venir le diront.

Crépuscule irlandais Edna O’Brien (éd. 10/18, 8,10 €). Déchirant chœur à deux voix, celle d’une vieille mère hospitalisée et celle de sa fille, qui tarde à lui rendre visite, trop occupée par sa carrière d’écrivain.

Laisser les cendres s’envoler Nathalie Rheims (éd. J’ai lu, 7,20 €). Confession autobiographique et cicatricielle sur l’abandon d’une mère, qui lâcha mari et enfants pour suivre « l’artiste », un créateur égocentrique.

Mère disparue Joyce Carol Oates (éd. Points, 8,10 €). « Marchez un kilomètre sur mes traces, vous me jugerez ensuite », disait cette mère avant son assassinat. Ses deux filles marchent tout au long du livre, et leur randonnée initiatique est captivante.

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